(Ottawa ) La visite de trois jours du chancelier allemand, Olaf Scholz, la semaine dernière, marque un tournant dans les relations entre le Canada et l’Allemagne.

Elle a permis de jeter les bases d’un solide rapprochement entre les deux pays sur trois fronts : politique, économique et énergétique.

L’Allemagne est la première économie de l’Europe. Aux côtés de la France, elle influe considérablement sur les positions adoptées par l’Union européenne. Mais dans les cercles du pouvoir à Ottawa, la priorité a toujours été accordée, dans l’ordre, aux États-Unis, qui demeurent, et de loin, le partenaire commercial le plus important du Canada, à la Grande-Bretagne et ensuite à la France. L’Allemagne apparaissait très loin sur le radar, même si la « Deutschland » est, depuis 2007, la quatrième puissance économique de la planète derrière les États-Unis, la Chine et le Japon.

À preuve, quand le ministre François-Philippe Champagne a demandé aux fonctionnaires de son ministère, en mars, de lui préparer un cahier d’information et une liste de numéros de téléphone des dirigeants des grandes entreprises allemandes en prévision d’une tournée commerciale qu’il tenait à effectuer en mai, ce fut le branle-bas de combat. Après quelques jours, on peinait à trouver l’information qu’il réclamait. À un moment donné, on lui a suggéré, entre autres, de composer le 1 800 Volkswagen pour réussir à obtenir l’information souhaitée au sujet des membres de la direction de ce géant de l’automobile, raconte-t-on en coulisses.

« L’Allemagne n’était pas vraiment sur le radar au ministère », a confié une source gouvernementale qui a préféré s’exprimer sous le couvert de l’anonymat.

« Le ministre Champagne a organisé une visite d’une semaine en Allemagne et il a dit au ministère : vous êtes bienvenus si vous voulez me suivre ! C’est à travers les contacts qu’il a en Europe qu’il a réussi à développer tout cela », a ajouté cette source, soulignant que M. Champagne a passé près de 20 ans en Europe.

Mission commerciale

En une semaine, le ministre Champagne et sa suite se sont rendus dans cinq villes afin de plaider la cause du Canada devant les gens d’affaires allemands. Il s’est notamment rendu à Berlin, à Wolfsburg, où se trouve le siège social de Volkswagen, à Stuttgart pour rencontrer les dirigeants de Mercedes-Benz et à Munich (BMW).

Pourquoi a-t-il décidé d’effectuer une telle mission commerciale ? Ses proches collaborateurs lui avaient fait parvenir un texte du quotidien The New York Times en mars dans lequel on expliquait que les grandes industries de l’Allemagne comptaient accélérer le pas afin de verdir leur chaîne d’approvisionnement.

« Quand je suis allé en Allemagne, j’avais un message : je comprends votre enjeu de décarbonisation. […] Le Canada fait partie de la solution. On a le troisième plus grand corridor, c’est-à-dire Windsor-Detroit, après la Chine et l’Allemagne. On a le talent. On a plus de 500 000 personnes qui travaillent dans le secteur de l’automobile. On a les ressources naturelles, l’énergie renouvelable et j’ai accès à 1,5 milliard de consommateurs sans droit de douane grâce aux ententes de libre-échange », a souligné le ministre à ses interlocuteurs.

Ce message n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Des rencontres subséquentes ont été organisées avec les dirigeants des constructeurs automobiles en juin au sommet de Davos. Des échanges de textos se sont multipliés. Des appels aussi. Quatre mois plus tard, le fruit de ces efforts était cueilli.

Ententes

Mardi dernier, le gouvernement canadien a signé des accords séparés avec Volkswagen et Mercedes-Benz qui permettront aux deux constructeurs automobiles allemands d’accéder aux matières premières canadiennes (le cobalt, le graphite, le nickel et le lithium) pour les batteries des véhicules électriques. Le premier ministre Justin Trudeau et le chancelier allemand Olaf Scholz ont participé à la cérémonie de signature à Toronto.

Le lendemain, M. Trudeau et son homologue allemand signaient une autre entente à Stephenville, à Terre-Neuve, portant cette fois sur la production d’hydrogène vert et la création d’une chaîne d’approvisionnement transatlantique à compter de 2025. L’Allemagne mise sur cette énergie propre pour décarboner son économie et s’affranchir de sa dépendance de la Russie et de son gaz naturel.

« Les Allemands voient aussi maintenant le Canada comme un partenaire de choix, un partenaire sérieux et un partenaire stratégique. C’est à nous maintenant de concrétiser cela », a expliqué le ministre Champagne en entrevue avec La Presse.

Celui que plusieurs surnomment dans les rangs libéraux le « Lapin Energizer » soutient que ces ententes envoient un puissant message aux investisseurs étrangers.

« Quand tu as les grands constructeurs comme cela qui viennent au Canada, cela envoie un message au reste de la planète : le Canada est un joueur clé dans la chaîne d’approvisionnement verte de l’automobile de l’avenir », a-t-il avancé.

« On a imaginé l’écosystème des batteries des véhicules électriques. On l’a construit. On l’a fait avec le ministre Pierre Fitzgibbon au Québec et on l’a fait en Ontario aussi. Et maintenant, on est en train de l’optimiser », s’est-il félicité.

En juillet, M. Champagne s’est rendu au Japon afin de livrer le même message auprès des gens d’affaires. On saura dans moins de trois semaines, quand il accueillera une délégation japonaise à Ottawa, s’il aura réussi à nouveau à conclure « un deal », pour reprendre une expression du premier ministre Justin Trudeau en parlant du pouvoir de persuasion de son ministre lorsque Moderna a décidé d’ouvrir une usine au Québec.