La promotion de l’achat local et la volonté de tendre vers une plus grande autonomie alimentaire ne sont pas que des vœux pieux formulés en début de pandémie. Parole du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, qui, en cette fin de mandat, assure avoir pris ces dossiers-là « à bras le corps ».

Depuis 2020, en supermarché, les marques québécoises ont enregistré une croissance de 17 %, selon une analyse qui sera présentée par NielsenIQ jeudi, à Drummondville, à l’occasion de la 3e Rencontre annuelle des partenaires de la politique bioalimentaire organisée par le ministère de M. Lamontagne. Par contre, il reste encore des « défis » à surmonter, selon NielsenIQ, puisque la provenance des aliments arrive au 12e rang des critères d’achat des consommateurs. Le goût et les promotions se classent en tête.

Dans une lettre publiée dans La Presse lundi, quelque 300 entreprises, dont plusieurs travaillant dans le secteur agroalimentaire, ont affirmé que l’achat local était en péril. « Les PME ressentent plus que jamais la fin de la mobilisation, si forte et soutenue il y a à peine quelques mois, peut-on lire. L’absence d’encouragement à l’achat local, le portefeuille serré des clients et clientes, l’augmentation des coûts des marchandises et des transports, les salaires devant pallier l’inflation sont toutes des expériences partagées et bien inquiétantes. »

En réponse à l’inflation, plusieurs consommateurs et consommatrices se tournent vers les multinationales pour acheter à moindre coût et maintenir un semblant de qualité de vie.

Extrait d’une lettre ouverte signée par quelque 300 entreprises

« J’ai signé cette lettre-là pour que nos élus prennent le temps de s’assoir et se posent la question : qu’est-ce qu’on fait ? », explique au bout du fil David Côté, cofondateur de Loop Mission, connue pour ses jus préparés avec des fruits et des légumes imparfaits. « Il y a vraiment une crise qui s’en vient. La meilleure façon de gérer une crise financière, c’est d’encourager l’économie locale. »

Selon Marie-Josée Richer, cofondatrice et propriétaire de Prana, une entreprise qui se spécialise notamment dans la confection de collations composées d’amandes ou de fruits séchés, « le discours n’est plus à l’achat local ».

Interrogé à propos de ces inquiétudes, le ministre Lamontagne a affirmé au cours d’une longue entrevue accordée à La Presse que l’intérêt pour l’achat local ne s’essoufflait pas. « Pour le secteur bioalimentaire, honnêtement, on a mis en place des mesures qui perdurent, affirme-t-il. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défi. Ce qu’on vit présentement, c’est une tempête parfaite : les difficultés avec la chaîne d’approvisionnement, l’inflation, le coût des intrants », énumère-t-il en ajoutant dans la foulée que le Québec est tout de même « équipé » pour faire face à la crise.

Pour appuyer ses propos, le ministre rappelle qu’il a notamment mis en place une stratégie nationale d’achat par les grandes institutions. Ainsi, près de 46 % des 1382 établissements publics des réseaux de la santé, des services sociaux et de l’éducation ont mis en place une cible d’achat d’aliments d’ici. Le ministre rappelle également qu’il a triplé le budget destiné à Aliments du Québec, en lui accordant une somme de 17,5 millions. Plus de 25 000 produits ont maintenant le sceau de l’organisme pour l’année 2021-2022, une augmentation de 15 %.

Les serres

Favoriser la culture en serre fait également partie des moyens mis en place pour que les fruits et légumes d’ici prennent plus de place dans les étals des épiceries. En 2020, le ministère de l’Agriculture a annoncé son intention de doubler la superficie en serre en ajoutant 123 nouveaux hectares en cinq ans. Actuellement, 50 % de l’objectif a été atteint.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

Notre objectif de doubler est certainement très réaliste. Près de 45 % des tomates en serre que l’on mange sont produites au Québec. Pourquoi ça ne serait pas 60 % ou 70 % ?

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

Laitue, concombres, fraises sont autant de produits d’ici que les Québécois peuvent mettre dans leur panier toute l’année, énumère-t-il. Poivrons et aubergines s’ajouteront bientôt au lot. Il reste maintenant à voir s’ils pourront rivaliser avec les produits de l’Ontario, de la Californie ou encore du Mexique, souvent affichés à bon prix. Près de 54 % des Québécois voudraient acheter local plus souvent mais ont l’impression qu’ils n’en ont pas les moyens, selon des chiffres recueillis par Aliments du Québec qui seront présentés à l’occasion de la 3e Rencontre annuelle des partenaires de la politique bioalimentaire.

On sent assurément que [le] portefeuille [des consommateurs] les empêche de voter avec leurs dollars.

Marie-Josée Richer, cofondatrice et propriétaire de Prana

« Des fois, on va dire que ça coûte plus cher, acheter les aliments du Québec, mais les études qu’on a, c’est que sur 20 catégories de produits, il y en a 14 où les produits québécois sont au même prix ou moins chers », soutient pour sa part André Lamontagne.

Il qualifie d’ailleurs cette perception qu’un produit québécois est nécessairement plus dispendieux de « légende urbaine ».

Par ailleurs, après quatre ans de travail acharné, André Lamontagne arrive à la fin de son mandat. Nul ne connaît le résultat des élections qui se tiendront à l’automne, mais si son parti est reporté au pouvoir et qu’il est réélu, souhaiterait-il reprendre la tête du ministère de l’Agriculture ? À cela, il répond que c’est la « prérogative du premier ministre ».

« Le premier ministre avait en tête l’idée d’un ministère économique, c’est pour ça qu’il m’a choisi. Des fois je parle à mes collègues et je leur dis que c’est moi qui ai le plus beau ministère. »