L’aspirant chef du Parti conservateur Pierre Poilievre a fait la promotion de la cryptomonnaie en proposant d’offrir le choix entre le bitcoin et le dollar canadien. C’est une mauvaise idée, selon les spécialistes que nous avons interrogés.

Un refuge contre l’inflation ?

Remplacer le dollar canadien par le bitcoin ne protègerait pas les consommateurs de l’inflation, explique Alexandre Roch, spécialiste du système financier et professeur à l’Université du Québec à Montréal. « C’est tout le contraire. Le dollar canadien est une devise très stable. On a un taux d’inflation entre 5 et 6 % depuis un an, mais la valeur du bitcoin varie plus que ça en quelques jours », illustre-t-il.

Il n’y a aucune raison de remplacer une monnaie stable comme le dollar canadien, le dollar américain ou l’euro par le bitcoin, croit lui aussi Martin Lalonde, président et fondateur de Rivemont, une firme de gestion de portefeuille qui propose des stratégies d’investissement alternatives dans les cryptomonnaies. « Mais dans les pays où il y a de l’hyperinflation ou un contrôle des capitaux, comme le Venezuela ou la Chine, ça peut être justifié », tempère-t-il.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

La Banque du Canada est responsable de réglementer le crédit et d’augmenter ou de réduire la masse monétaire selon l’évolution de l’économie.

Une menace de déflation

La Banque du Canada, comme les autres banques centrales, est responsable de réglementer le crédit et la monnaie. Elle a le pouvoir d’augmenter le nombre de billets en circulation, ce qu’on appelle parfois le pouvoir d’imprimer de l’argent. Ce n’est pas le cas du bitcoin. Dès sa création, il a été décidé qu’il existerait 21 millions d’unités de bitcoins, pas plus, dont 90 % ont déjà été créés par les mineurs. C’est ce qui peut laisser croire que le bitcoin, contrairement au dollar, n’est pas inflationniste.

C’est vrai en un sens, dit Stephen Gordon, économiste spécialiste des questions monétaires de l’Université Laval. Trop de monnaie en circulation est un problème, mais pas assez aussi, dit-il. « Dans une économie en croissance, on a besoin de plus de monnaie pour faire nos transactions », expose-t-il. C’est le rôle de la Banque du Canada d’augmenter ou de réduire la masse monétaire selon l’évolution de l’économie.

Le bitcoin expose au contraire l’économie à la déflation, selon lui, soit une longue baisse des prix qui ralentit la consommation et finit par paralyser la croissance.

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Chaque transaction réalisée en bitcoins doit être validée, ce qui prend du temps et qui implique des frais.

Faciliter les transactions

Les transactions directes, sans intermédiaire et sans frais que permet le bitcoin, c’est un peu un mythe, estime Alexandre Roch. En fait, chaque transaction réalisée en bitcoins doit être validée, ce qui prend du temps et qui implique des frais. Des intermédiaires sont nécessaires.

« Sans vouloir défendre les banques, on peut dire que le système de paiement fonctionne bien », dit-il en observant que la plupart des transactions se font de façon virtuelle, avec des outils de paiement électroniques qui nécessitent moins d’énergie que le minage de bitcoins.

En fait, le système de paiement dont nous nous servons tous les jours est plus efficace et moins coûteux que le bitcoin, soutient de son côté Stephen Gordon.

Pour certains types de transactions, comme le transfert d’argent d’un pays à un autre, procéder en bitcoins peut être moins coûteux, relève Alexandre Roch.

Le bitcoin assure toutefois à ses utilisateurs un anonymat qui favorise les transactions illicites et l’évasion fiscale, ce qui est le principal défaut des cryptomonnaies. « La raison pour laquelle il y a des règles, c’est pour protéger la population », dit le professeur qui note que près de la moitié des échanges de cryptomonnaies servent à des activités illicites.

De plus en plus de pays songent à réglementer l’utilisation des cryptomonnaies pour empêcher leur utilisation à des fins criminelles, ce qui pourrait s’avérer difficile parce que le système a été conçu pour exister en dehors du système réglementaire.

À quoi ça sert, alors ?

Conçues comme une monnaie d’échange, le bitcoin et les autres cryptomonnaies servent très peu à faire des transactions.

La seule raison qui existe d’acheter des bitcoins, c’est l’espoir de pouvoir les revendre plus cher à quelqu’un d’autre.

Stephen Gordon, économiste spécialiste des questions monétaires de l’Université Laval

Selon lui, les cryptomonnaies ont fait leur apparition alors que les taux d’intérêt étaient bas depuis longtemps. « Les gens sont toujours à la recherche d’occasions de rendement », dit-il, et beaucoup ont sauté sur le bitcoin.

C’est aussi l’avis d’Alexandre Roch, pour qui l’engouement pour le bitcoin a toutes les apparences d’une bulle spéculative. « La valeur du bitcoin repose sur le réseau, un peu comme Facebook, illustre-t-il. Si un autre réseau arrive et devient plus populaire, il va perdre sa valeur. »

Le gestionnaire Martin Lalonde voit les choses autrement. L’avenir des cryptomonnaies est d’être un gardien de valeur, selon lui. « Le bitcoin pourrait devenir de l’or numérique, avance-t-il. Accepté partout, il a tous les avantages de l’or sans les inconvénients. » Mais, non, il ne remplacera pas les devises qui font bien leur travail, selon lui.

PHOTO PATRICK DOYLE, LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre, candidat à la direction du Parti conservateur

Je veux retirer le contrôle de l’argent des politiciens et des banquiers et le redonner au peuple. […] Nous devons donner aux gens la liberté de choisir une autre monnaie. Si le gouvernement veut abuser de notre argent liquide, alors nous devrions avoir le droit d’opter pour une autre monnaie de meilleure qualité.

Pierre Poilievre