Un Québécois mène la recherche pour un système logistique ouvert, mondial et multimodal, incluant une déclinaison universelle de contenants de transport modulaires, depuis l’emballage du produit jusqu’au conteneur.

Tout part d’un problème : les conteneurs transportés par bateaux, trains et camions doivent être pleins.

« Pour beaucoup de compagnies, le remplir prend trop de temps et demande de trop grosses quantités », constate Benoit Montreuil, professeur et titulaire de la chaire Coca-Cola Material Handling & Distribution, à l’École d’ingénierie industrielle et des systèmes de Georgia Tech (Institut de technologie de la Géorgie).

Même lorsqu’il est rempli à ras bord, le conteneur n’est pas toujours pleinement efficace. Les produits, emballés individuellement, ont été regroupés dans de grandes boîtes empilées sur des palettes, qui sont elles-mêmes entassées tant bien que mal dans les conteneurs.

Quand on compare le volume et le poids réels des objets avec la capacité du conteneur, « on arrive souvent à des atrocités », relève le professeur.

PHOTO ROB FELT, FOURNIE PAR BENOIT MONTREUIL.

Benoit Montreuil est professeur et titulaire de la chaire Coca-Cola Material Handling & Distribution, à l’École d’ingénierie industrielle et des systèmes de Georgia Tech (Institut de technologie de la Géorgie).

Dans certains cas, « on dit que tu peux te ramasser en bas de 10 ou 15 % », affirme-t-il. « On pense que c’est plein, mais finalement, c’est plein d’emballages, c’est plein de cartonnage, c’est plein de palettes. »

Les grands conteneurs équivalents 10, 20 ou 40 pieds sont standardisés, mais la modularité ne se décompose pas dans les strates inférieures de la chaîne logistique.

« Quand on arrive avec les caisses, quand on arrive avec les emballages de vente, on entre dans un fouillis total. Sur 500 produits différents, tu risques d’avoir 480 dimensions différentes. »

Une solution universelle

Mais il existe une voie de solution. « Depuis une dizaine d’années au moins, on a commencé à pousser pour que la conteneurisation de transport devienne encore plus modulaire », souligne Benoit Montreuil.

Lui-même est l’initiateur de ce qui s’appelle l’internet physique – Physical internet, ou PI, ou encore π –, sur lequel il travaille depuis plusieurs années. C’est une réorganisation fondamentale des chaînes d’approvisionnement, qui se définit comme « un système logistique ouvert, mondial et multimodal, basé sur l’interconnectivité physique, numérique et opérationnelle universelle ».

Il avait commencé à réfléchir à ce concept en 2006 à l’Université Laval, où il enseignait à l’époque. Le mouvement a depuis largement essaimé et d’autres chercheurs s’y sont greffés. « L’Union européenne a fait de l’internet physique sa vision stratégique pour 2040 », informe le chercheur.

Une de ses facettes essentielles est une conteneurisation à plusieurs niveaux, décomposables en unités modulaires compatibles.

ILLUSTRATION TIRÉE DE L’INTERNET

Un exemple de la modularité des conteneurs de manutention, en neuf formats.

Le produit manufacturé prendrait place dans un petit conteneur d’emballage de format standardisé. Offerts en quelques tailles modulaires, ces conteneurs d’emballage rempliraient sans perte d’espace un conteneur de manutention, destiné au transport régional, à l’entreposage ou à la manipulation en magasin. Eux-mêmes modulaires, ces conteneurs de manutention seraient compatibles avec les conteneurs de transport.

« C’est un peu comme un mélange de poupées russes et de Lego, qui font en sorte qu’on facilite l’utilisation de l’espace », décrit Benoit Montreuil. « C’est beaucoup mieux structuré, donc tu as un potentiel d’utilisation d’espace cubique qui est nettement plus élevé. »

Dans ce système, les dimensions des conteneurs de transport sont des multiples de 1,2 m : largeur et hauteur de 1,2 ou 2,4 m, longueur de 1,2 m, 2,4 m, 3,6 m, 4,8 m, 6 m ou 12 m.

Les conteneurs intermédiaires pourraient être utilisés dans les commerces, les entreprises, et même à la maison. Ils seraient conçus pour être repliables ou démontables, afin d’être renvoyés à l’expéditeur pour réutilisation.

« Juste en faisant une petite approche systémique, bien simple déjà, on vient de changer une grosse portion de ce qui se passe sur la planète », fait valoir Benoit Montreuil. « Il y a toute une façon de faire qui est beaucoup plus circulaire, beaucoup plus durable, qui est en jeu. »

Des produits adaptés aux contenants

« Si nos produits étaient conçus pour entrer dans des conteneurs d’emballage de dimensions standardisées, ça simplifierait une tonne de choses », avance encore Benoit Montreuil.

Offerts en quelques formats modulaires, ces emballages seront partout faciles à manutentionner par des systèmes automatisés, et dotés de codes qui permettront de les identifier et d’en suivre le parcours.

« Ça demande une discipline de design, reconnaît-il. Et il faut faire attention que ça ne devienne pas un obstacle aux beaux élans de créativité et d’élégance. Mais si on est capables de le faire, ça fait tellement de différence ! »

C’est un exercice auquel les designers industriels sont de plus en plus rompus.

Une boîte neutre et standardisée entraverait la séduction par le graphisme sur les tablettes des magasins, mais avec les achats sur l’internet et la livraison à domicile, les emballages distinctifs sont de moins en moins essentiels.

« On est dans une phase transitoire actuellement où, de plus en plus, des compagnies comme Amazon commencent à utiliser les conteneurs modulaires, des conteneurs de manutention. Ce n’est pas uniquement l’utilisation de l’espace. C’est toute la vitesse de manutention, l’élégance du processus, à quel point tout ça coule doucement et simplement. Il y a toute une évolution là-dessus. »

Une révolution, même. On la verra bientôt arriver à la maison.