Vous avez été très nombreux au cours des dernières semaines à répondre à notre invitation en envoyant vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc. Toute la semaine, nos journalistes tentent d’y répondre avec l’aide d’experts.

J’aimerais connaître les raisons pour lesquelles l’écart est si grand entre la pénurie de main-d’œuvre actuelle et la situation avant la COVID-19. Je n’arrive pas à comprendre où sont partis les travailleurs et travailleuses qui étaient à l’œuvre avant la pandémie. Est-ce dû à la création d’emplois qui n’existaient pas il y a un an ? Est-ce que beaucoup de gens ont accroché leur tablier ? On voit un boom de construction de maisons, d’immeubles de logements, etc. On serait porté à croire que ces nouvelles constructions accueillent de nouveaux travailleurs et travailleuses, mais il semble que d’une semaine à l’autre, on bat des records de manque de main-d’œuvre. Pourquoi ?

Jean-Luc Blais

Pour répondre à cette question, nous avons sondé Céline Morellon, CRHA, directrice des ressources humaines et de la transformation organisationnelle de la Société du parc Jean-Drapeau et présidente de Leaders de valeur.

« J’adore cette question ! Ce n’est pas quelque chose de simple, sinon on aurait déjà trouvé la solution, une stratégie politique facile. La pénurie n’est pas liée qu’à un seul phénomène.

« D’abord, je dis souvent qu’il n’y a pas de pénurie de main-d’œuvre, car il y a bien des gens sans emploi. Mais c’est qu’on n’a pas les bonnes personnes pour pourvoir les postes. Par ailleurs, les voyants rouges étaient déjà allumés avant la pandémie. Vers 2015 et 2016, on avait des statistiques disant qu’on s’en allait vers un mur, particulièrement à cause du vieillissement de la population. Dans le secteur de la santé, par exemple, on a mis en place des stratégies pour profiter des départs à la retraite en se disant que l’innovation allait permettre de compenser les départs. Mais on n’avait pas prévu la pandémie…

PHOTO FOURNIE PAR CÉLINE MORELLON

Céline Morellon, directrice de ressources humaines et de la transformation organisationnelle de la Société du parc Jean-Drapeau.

« Il y a aussi eu un changement de stratégie sur le plan de l’immigration. À ce titre, on a un Québec plus centré sur lui-même depuis quelques années. On cherche des immigrants diplômés. Le premier ministre Legault l’a même dit : il veut des personnes qui gagnent plus de 55 000 $. Mais un quart des postes vacants sont à faible revenu. Je pense à l’hébergement et à la restauration. Il y a donc un déficit démographique, un manque d’immigrants et une inadéquation par rapport aux postes à pourvoir et aux chercheurs d’emploi.

Il y a également eu un déplacement des gens en restauration et en hébergement, par exemple, qui se sont formés pour se convertir à un autre métier. Ces personnes veulent se trouver des emplois qui ne mangeront pas une claque en cas de pandémie.

Céline Morellon

« Sur le plan de l’innovation souhaitée, c’est une carte maîtresse pour le Québec. Le problème, c’est que 90 % des entreprises sont des PME qui ont peu de ressources. Et on n’a pas poussé dans cette voie pour qu’elles puissent se convertir à la robotisation.

« Enfin, chez les professionnels à revenus élevés, comme les ingénieurs et les scientifiques, le changement des compétences souhaitées à l’embauche crée aussi un problème. L’embauche est aujourd’hui basée sur des critères émotionnels, la capacité de travailler en équipe, plus seulement sur les compétences techniques. Or, ce n’est pas ce qu’on apprend à l’école !

« Pour la deuxième partie de votre question, le boom de construction signifie d’abord une capacité à acquérir une maison. Et ce sont les faibles taux d’intérêt qui expliquent ça, pas le fait qu’il y aurait plus de monde à loger. »