Il a beaucoup été question de bulles au cours de la dernière année, surtout de bulles familiales et de bulles sociales, prescrites avec insistance par les autorités de la santé publique pour enrayer les avancées de la COVID-19. Depuis un an, toutefois, on observe la multiplication de bulles qui relèvent davantage de la spéculation et de l’exubérance irrationnelle et ces enflures sont le résultat, elles aussi, de la pandémie mondiale.

Commençons avec les marchés boursiers et la bulle technologique qui ressemble de plus en plus à celle qu’on a vécue à la fin des années 90 et qui a culminé en avril 2000 avec l’effondrement des titres de la nouvelle économie.

PHOTO REGIS DUVIGNAU, ARCHIVES REUTERS

Jeudi, l’indice S&P 500 a franchi pour la première fois de son histoire la marque des 4000 points – grâce essentiellement aux titres d’Amazon, Apple, Alphabet (Google), Microsoft et Facebook.

À l’époque, les entreprises technos faisaient leur entrée en Bourse sans aucun historique de profitabilité et avec seulement des balbutiements de revenus, et pourtant elles atteignaient instantanément des valorisations qui défiaient l’entendement.

On investissait dans le futur, disait-on, jusqu’à ce que ce futur s’écroule lamentablement lorsqu’on s’est rendu compte que cette situation n’était pas tenable.

L’indice NASDAQ, à forte coloration technologique, a mis 15 ans pour retrouver son niveau record de 2000, mais il s’est valorisé de près de 300 % au cours des six dernières années, alors que les titres technos ont repris le devant de la scène financière et économique. La pandémie et l’avènement généralisé du télétravail n’ont fait qu’accélérer ce mouvement.

Depuis deux ans, les nouvelles émissions d’actions de titres technos occupent le haut du pavé et le Québec ne pas fait exception. L’entreprise Lightspeed s’est inscrite en septembre 2019 à la cote de la Bourse de Toronto avec une valorisation de 1,7 milliard, sa valeur dépasse aujourd’hui les 10 milliards.

Nuvei a fait pareil. Évaluée à 3 milliards lors de son inscription en Bourse en septembre dernier, la valeur de l’entreprise atteint, sept mois plus tard, 10,4 milliards.

Cette semaine, la société montréalaise de télémédecine Dialogue a fait son entrée en Bourse et l’entreprise, qui a enregistré des revenus de 36 millions et une perte de 20 millions, en 2020, a aujourd’hui une valeur qui avoisine le milliard.

Jeudi, l’indice S&P 500 a franchi pour la première fois de son histoire la marque des 4000 points – grâce essentiellement aux titres d’Amazon, Apple, Alphabet (Google), Microsoft et Facebook. L’indice NASDAQ a souffert d’un léger repli de 1 % durant le mois de mars, mais il est en bonne voie de reprendre l’ascension de nouveaux sommets, tant que la bulle tiendra…

Les bulles discrétionnaires

La crise sanitaire de la dernière année a aussi contribué à la création de bulles parallèles dans de nombreux secteurs d’activité, dont plusieurs sont directement liés au redéploiement du budget de dépenses discrétionnaires des consommateurs.

On le sait, depuis un an, les gens ne voyagent plus et une grande majorité de la population va préférer attendre que la situation sanitaire se normalise de façon probante à l’échelle internationale avant de planifier un premier voyage.

Les consommateurs ont économisé et ils peuvent de surcroît emprunter à des conditions extrêmement avantageuses. Ils ont donc décidé de bonifier leur budget de dépenses discrétionnaires et de le redéployer pour se faire plaisir, dans l’immédiat, alimentant ce faisant la formation de bulles de tout acabit.

On n’a qu’à penser aux prix du bois d’œuvre qui ont littéralement explosé devant la forte demande des consommateurs affamés de travaux de rénovation et le volume de mises en chantier de maisons neuves, qui est à son plus haut niveau des 40 dernières années avec une prévision de 60 000 nouvelles constructions.

Cette frénésie rénovatrice touche aussi le remplacement de portes et fenêtres, pour lesquelles les délais d’installation peuvent facilement excéder les six mois. Les fabricants québécois, dont Novatech, opèrent à plein régime et ne suffisent pas à la demande, me confirme-t-on.

Si Montréal et le Québec tout entier avaient été jusqu’ici prémunis d’une flambée inconsidérée des prix des maisons, une bulle immobilière s’est maintenant bel et bien constituée dans notre paysage, comme en témoigne la hausse de 100 000 $ du prix médian des maisons à Montréal en 2020 et des augmentations de prix importantes dans tous les marchés régionaux.

Même chose avec le marché des piscines, où les délais de livraison reportent à la fin de l’automne l’installation d’une piscine creusée et pratiquement à la fin de l’été celle d’une piscine hors terre.

J’ai fait une visite cette semaine chez un concessionnaire de voitures de la Rive-Sud et la directrice financière m’a confirmé que le mois de mars avait été explosif. Le détaillant, qui historiquement enregistrait une moyenne de 30 ventes de voitures neuves durant le mois de mars, a conclu pas moins de 80 ventes de nouveaux véhicules au cours du mois.

« On vient d’enregistrer un excellent premier trimestre, me confirme Robert Poëti, président de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec. Ce qui vient balancer pour l’année 2020 où on a réalisé 30 % de ventes en moins sur l’année précédente. »

Les gens veulent se gâter et les conditions de financement sont excellentes, alors ils en profitent.

Robert Poëti, président de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec

Même constat pour les ventes de vélos, pour lesquels on appréhende une pénurie prochaine, alors qu’un collègue m’a rapporté que des connaissances venaient d’acheter en ligne une bicyclette électrique livrable en janvier 2022…

Le même phénomène de dépenses discrétionnaires en explosion est observable du côté des boutiques animalières, des vétérinaires, et sera aussi vérifiable à partir de la semaine prochaine dans les centres d’horticulture.

La pandémie a créé un immense vide dans le quotidien et la vie de millions de citoyens et la consommation est devenue une activité compensatoire pour bien des gens excédés de vivre dans le confinement et la crainte. Une exaspération qui se transforme pour certains en exubérance, et, pourtant, les marchés boursiers nous ont bien démontré qu’il fallait surtout éviter l’exubérance.