Après la secousse de la pandémie de COVID-19, qui a provoqué une vague de mises à pied dans l’aérospatiale, les offres d’emploi ne manquent maintenant pas chez les donneurs d’ouvrage. Cela ne semble toutefois pas suffisant pour regarnir les bancs d’école dans certains centres de formation, qui peinent toujours à attirer des recrues.

« La main-d’œuvre, c’est l’enjeu numéro un, numéro deux et numéro trois chez nous, lance Hugue Meloche, président et chef de la direction du fabricant de pièces Groupe Meloche. C’est extrêmement difficile. »

Signe que les entreprises reprennent de l’altitude, des centaines de postes sont affichés sur les sites web de nombreux acteurs de la grappe comme Bombardier, Airbus Canada, Pratt & Whitney Canada, Héroux-Devtek, CAE et Groupe Meloche. La plupart de ces entreprises avaient fait des mises à pied au début de la crise sanitaire.

Ingénierie, machinerie, planification de projets… Des candidats de tous les horizons – formation professionnelle, technique ou universitaire – sont recherchés. Le hic, c’est que d’un côté, le bassin de main-d’œuvre se rétrécit, alors que de l’autre, la relève n’est pas au rendez-vous.

C’est ce qui est un peu inquiétant. On est en reprise. On a besoin d’au moins 30 nouvelles personnes l’an prochain. Avant d’accepter un grand contrat, d’investir quelque part, la main-d’œuvre est le premier critère évalué. Aujourd’hui, le premier réflexe, c’est de se demander si on va avoir le monde pour faire ça.

Hugue Meloche, président et chef de la direction du fabricant de pièces Groupe Meloche

Avant la pandémie, on estimait qu’il fallait pourvoir 30 000 postes avant 2027.

À Longueuil, en banlieue sud de Montréal, l’École nationale d’aérotechnique (ENA) peut accueillir jusqu’à 1300 élèves pour une formation collégiale. On en recense environ 820. Les inscriptions étaient en recul de 20 % pour la session d’automne.

Le directeur de l’établissement, Pascal Désilet, espère que les portes ouvertes qui se sont déroulées dimanche dernier – en personne pour la première fois en deux ans – permettront d’inverser cette tendance. En 2020, l’ENA avait reçu 312 demandes d’admission au premier tour.

« On rencontre des entreprises qui ne sont pas encore revenues à 100 %, mais qui nous disent avoir un vrai problème, raconte M. Désilet. Juste pour remplacer les personnes qui partent à la retraite, certains prendraient la cohorte au complet. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉCOLE NATIONALE D’AÉROTECHNIQUE

L’ENA peut accueillir jusqu’à 1300 élèves pour une formation collégiale. On en recense 820 à l’heure actuelle.

Celui-ci espère également que la réouverture des frontières facilitera le recrutement de candidats à l’étranger dans des pays comme la France, le Maroc et la Tunisie. Environ 100 élèves proviennent de l’extérieur à l’ENA.

J’ai au moins sept entreprises qui ont récemment appelé pour avoir des élèves en usinage.

Éric Dionne, directeur de l’École des métiers de l’aérospatiale de Montréal (EMAM)

Il y a environ 225 élèves inscrits à des formations comme l’usinage et le montage de structures dans cet établissement qui en a déjà accueilli plus de 1000. L’EMAM, qui a pu accueillir des candidats sur place jeudi dernier pour ses portes ouvertes, espère que l’évènement contribuera à relancer les inscriptions.

« C’est très critique dans les écoles actuellement », reconnaît la présidente-directrice générale d’Aéro Montréal, Suzanne Benoît. Particulièrement du côté des métiers.

Prudence

Même les nouvelles encourageantes s’accompagnent d’un bémol. Le président-directeur général d’Airbus Canada, Benoît Schultz, en a donné un exemple, le 9 novembre dernier, au moment de dire que le géant européen souhaitait embaucher au moins 500 personnes à Mirabel, où s’effectue l’assemblage de l’A220, au cours des prochaines années.

« Je ne vous cacherai pas que le recrutement dans notre industrie est un enjeu, avait-il affirmé. Le recrutement est un des éléments importants pour réaliser notre plan. »

Airbus a tenté de prendre une longueur d’avance en nouant un partenariat de 200 000 $ avec Polytechnique Montréal et l’Université McGill afin d’offrir annuellement 10 bourses d’études en génie, soit 5 dans chaque établissement. La multinationale n’impose pas d’exigences, mais elle espère que ce coup de pouce incitera les lauréats à grossir ses rangs.

Fin 2020, l’effectif de la grappe était de 36 100 travailleurs, comparativement à 43 400 un an plus tôt. Aéro Montréal n’a pas encore le plus récent décompte, mais Mme Benoît prévoit une augmentation de l’effectif.

À l’automne 2020, l’organisme avait accepté de collaborer avec l’industrie de la construction pour y muter certains employés qui avaient perdu leur gagne-pain. La dirigeante de l’organisme ignore l’ampleur du déplacement. Chose certaine, beaucoup risquent d’avoir tourné le dos à l’aéronautique.

« Ce n’était pas une crise de six mois, affirme Mme Benoît. On a beau dire qu’en aérospatiale, les travailleurs sont passionnés, mais à un moment donné, certains passent à autre chose. »

Le retour de ces travailleurs vient jeter « beaucoup d’incertitude » sur la taille du bassin de main-d’œuvre éventuellement disponible.

Enfin des manchettes plus favorables ?

Le refrain a été entendu à plus d’une reprise : pour attirer plus d’étudiants, l’industrie aéronautique doit arriver à mieux se faire connaître. Au-delà des offensives publicitaires, le secteur pourrait bénéficier d’un changement de perception du grand public.

Après des années où les nouvelles ont été plutôt mauvaises, Bombardier semble reprendre un peu d’altitude. Airbus Canada veut embaucher à Mirabel et décroche de nouvelles commandes pour l’A220 et CAE multiplie les acquisitions.

« C’est le meilleur effet vendeur, lance sans détour le directeur de l’ENA, Pascal Désilet. Il y a l’étudiant, mais derrière, le parent est plus conscientisé sur les perspectives. Les bonnes nouvelles génèrent un sentiment positif. »

Le président et chef de la direction de Groupe Meloche, Hugue Meloche, évoque de son côté un meilleur travail à faire au chapitre du marketing et des communications.

« On a tendance à penser que l’aviation, c’est polluant, mais chaque année, l’industrie s’améliore, dit-il. Il y a énormément de recherche et de développement à faire, mais on dirait que ce n’est pas connu dans le grand public. »

M. Désilet abonde dans le même sens. Le directeur de l’ENA souligne que le domaine de l’intelligence artificielle a réussi à rendre ce secteur « sexy » même s’il s’agit de « codage devant un ordinateur ».

« On a le même défi », reconnaît-il.

Selon la présidente-directrice générale d’Aéro Montréal, une autre « offensive » publicitaire se prépare avec des « dirigeants industriels ». Celle-ci devrait être déployée en 2022.

Julien Arsenault, La Presse