Après presque deux décennies chez Air Canada, ce n’était pas de gaieté de cœur que Simon Drainville avait accepté son transfert chez Aveos, en 2011. Comme bon nombre de ses ex-collègues, il était loin de se douter que le pire était à venir et que son gagne-pain allait brusquement s’envoler.

« Ç'a été une perte de confiance en moi […], la routine a foutu le camp complètement, a relaté l’homme, lundi, devant la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec, en laissant échapper des sanglots à plusieurs reprises lors de son témoignage. J’aurais dû prendre ma retraite cette année et là, je ne sais même pas quand je vais la prendre. »

M. Drainville était l’une des cinq personnes – deux anciens employés, la veuve d’un autre et un ex-superviseur – interrogées au premier jour des audiences dans le cadre du procès de l’action collective d’au moins 150 millions intentée par d'anciens salariés d’Aveos contre le transporteur aérien.

L’entreprise chargée de la maintenance des avions d’Air Canada avait subitement mis la clé sous la porte, en 2012, de ses centres situés à Montréal, Winnipeg et Mississauga. Cela avait ouvert la voie à une série de recours judiciaires à l’endroit de la société aérienne, à qui l’on reprochait de ne pas respecter la loi fédérale.

Environ 2600 salariés, dont 1800 au Québec, avaient perdu leur emploi. La démarche judiciaire couvre la période de 2012 à 2016, la loi fédérale ayant été modifiée par Ottawa.

« J’ai appris la fermeture un dimanche après-midi, a raconté M. Drainville. J’ai reçu un coup de téléphone et quelqu’un sanglotait. J’ai appris que c’était mon supérieur. Il n’a jamais été capable de m’annoncer la nouvelle. »

Nouvelle entité

Ancienne filiale de la société mère d’Air Canada, Aveos est devenue, avec les années, une entité indépendante. La dernière étape de ce processus est survenue en 2011 par le truchement d’un transfert légal d’employés. À l’époque, le syndicat qui représentait les salariés s’inquiétait de cette manœuvre.

Les options étaient limitées pour ces salariés : accepter de couper les ponts avec Air Canada pour rejoindre les rangs d’Aveos, demeurer au sein de la société aérienne s’ils avaient suffisamment d’ancienneté sans toutefois avoir la garantie de conserver le même salaire ou le même type d’emploi, ou encore partir à la retraite.

« J’ai fait confiance à la direction d’Air Canada, qui nous disait : ‟Rien ne va changer, les gars”, a relaté Renald Courcelles, venu de Winnipeg. J’avais une jeune famille. J’ai choisi Aveos parce que je voulais demeurer à Winnipeg. J’ai perdu la confiance que j’avais à l’endroit d’Air Canada. »

Plusieurs des témoignages comportaient des similitudes : la perte d’un emploi bien rémunéré – un salaire annuel oscillant aux alentours de 60 000 $ et plus – et d’avantages sociaux (régime d’assurances collectives et régime de retraite), des difficultés à dénicher du boulot après la fermeture soudaine d’Aveos et l’obligation d’accepter un travail moins bien rémunéré par la suite. Devant la juge, trois des témoins ont raconté avoir accepté le transfert à reculons.

Veuve d’Érick Brosseau, mort en 2014 après avoir été emporté par un cancer du pancréas, Annie Bellemare a raconté que son conjoint de l’époque avait été contraint d’accepter un poste dans un concessionnaire Volvo, au comptoir des pièces, dans un contexte où les offres d’emploi ne couraient pas les rues.

Par l’entremise d’une agence de placement, M. Brosseau s'est retrouvé chez Zodiac – absorbée par Safran en 2018 –, où il touchait 23 $ l’heure, mais sans régime d’assurances collectives ni régime de retraite.

Pour Mme Bellemare, le diagnostic de son conjoint a été un véritable choc.

« J’ai tout mis de côté pour m’occuper de lui, a-t-elle raconté. L’agence de placement lui avait demandé de démissionner. Il s’est retrouvé sur [les prestations] de maladie de l’assurance-emploi. C’était son seul revenu. »

Des précisions sur les demandes

En lever de rideau, Philippe Trudel, du cabinet Trudel Johston Lespérance, qui représente les ex-travailleurs avec Jean-François Bertrand Avocats, a précisé que c’était au bas mot 150 millions qui étaient réclamés à Air Canada.

Dans sa présentation, il a expliqué que cette somme constituait la partie du « recouvrement collectif » demandé en ajoutant qu’en cas de victoire et que cela concernait des obligations en matière de régime de retraite et d’autres dédommagements.

Il pourrait y avoir un « recouvrement individuel » pour chacun des membres, a ajouté l’avocat, ce qui pourrait faire grimper la facture.

De son côté, les représentants du plus important transporteur aérien au pays ont fait valoir que l’action collective était irrecevable. L’avocat Philippe Girard a entre autres affirmé que la violation de la loi fédérale, s’il y en avait une, n’entraînait pas une « faute civile ».

Québec et Ottawa ont tourné la page sur la fermeture d’Aveos en 2016.

En échange d’une commande, par Air Canada, de 45 appareils de ce qui s’appelait alors la C Series – un contrat révisé à 33 appareils –, Québec a mis fin à ses recours. Ottawa a modifié la loi ayant mené à la privatisation d’Air Canada pour en retirer les obligations liées à l’entretien.

Les audiences doivent se dérouler jusqu’au 26 octobre.

18

En plus d’ex-dirigeants d’Aveos et d’Air Canada, 18 ex-travailleurs seront entendus au cours du procès.