Les élections législatives du 26 septembre en Allemagne marqueront la fin officielle du règne de la chancelière Angela Merkel, qui a duré 16 ans. Elle sera regrettée, en Allemagne et aussi ailleurs, pour la façon unique qu’elle a eue d’exercer le pouvoir.

À la tête de la première économie d’Europe, la chancelière a géré des crises qui, chaque fois, menaçaient de faire éclater son gouvernement et la fragile construction qu’est toujours l’Union européenne.

À son arrivée en poste en 2005, elle ne pouvait pas savoir ce qui l’attendait. Angela Merkel est la seule dirigeante d’un État occidental qui a dû affronter tour à tour la crise financière de 2009, la faillite de la Grèce, le Brexit et la pandémie. Chaque fois, toutes sortes d’experts ont prédit l’échec. Chaque fois, une solution a été trouvée. L’Europe a survécu et l’économie allemande aussi.

Le succès de tous ces compromis à l’européenne ne peut être attribué uniquement à la dirigeante allemande. Elle-même ne s’est jamais vantée de rien, ce n’est pas son genre. Angela Merkel n’a pas l’ego démesuré qui caractérise souvent les gens de pouvoir. Ça l’a bien servie.

Celle qui a dominé le palmarès des femmes les plus puissantes du monde avait des idées bien arrêtées, qu’elle n’a pas hésité à renier quand la nécessité s’est imposée. La rigueur budgétaire, par exemple. Le déficit zéro, connu comme le « zéro noir », ou schwarze Null, a été jugé assez important pour être inscrit dans la Constitution du pays. Mais quand l’économie allemande s’est essoufflée et que la pandémie a frappé, le gouvernement allemand n’a pas hésité à dépenser pour relancer la machine.

L’élimination du nucléaire est un autre exemple de changement de cap spectaculaire de l’Allemagne de Merkel. Alors que la chancelière avait toujours plaidé que l’énergie nucléaire, qui n’émet pas de gaz à effet de serre, serait indispensable pour assurer la transition énergétique de son pays, elle a fait une volte-face spectaculaire après le désastre de Fukushima de mars 2011. Le nucléaire sera complètement abandonné, avec les risques que ça comporte pour l’industrie allemande et pour l’économie dans son ensemble. Le résultat a été un développement spectaculaire des énergies vertes, mais aussi une augmentation de la consommation de charbon, la source d’énergie la plus polluante, pour assurer la transition et permettre au moteur économique allemand de continuer de tourner.

Elle part alors que le pays sort de la crise sanitaire et que l’économie allemande, qui a moins souffert que celle de ses voisins, se rétablit mieux que prévu.

De la dame de fer à Mutti

En faisant face à toutes les critiques, Angela Merkel a réussi à imposer des mesures impopulaires, comme sa décision d’accueillir un million de réfugiés syriens en 2015. La chancelière a tenu tête à Vladimir Poutine, dans sa langue en plus, puisque cette Allemande de l’Est parle couramment le russe, sur la question de l’Ukraine. Encore récemment, lors de sa dernière visite à Moscou, elle réclamait la libération du dissident Alexeï Navalny, que son pays avait accueilli l’an dernier pour le soigner lorsqu’il avait été victime d’un empoisonnement.

Sa voix forte sur la scène internationale ne l’a pas empêchée de faire passer les intérêts de son pays d’abord, ce que personne ne peut lui reprocher.

On a bien essayé de comparer Angela Merkel à Margaret Thatcher et de lui accoler aussi le surnom de dame de fer. C’est peut-être un signe que les modèles de femmes de pouvoir sont encore trop peu nombreux et qu’on manque de points de comparaison.

Les deux femmes ont certainement fait beaucoup pour leur pays. Leur façon d’exercer le pouvoir a toutefois été fort différente.

Contrairement à Margaret Thatcher, Angela Merkel a été une dirigeante de compromis. Les coalitions éclectiques qui se sont succédé sous son règne n’ont pas d’équivalent ailleurs. Elle a été intransigeante à plusieurs égards et sur plusieurs questions, mais elle a gardé jusqu’à la fin une image d’une femme de cœur, bonne vivante, aimant la bière et le foot. Les Allemands ne l’ont pas surnommée la « dame de fer », mais Mutti, ce qui signifie « maman », et ça veut tout dire.

Elle pouvait aussi avoir beaucoup d’humour. Lors du sommet européen de 2012, elle a vu arriver le premier ministre des Pays-Bas, Mark Rütte, avec un calepin qui formait une bosse dans sa poche. Elle lui a lancé la célèbre réplique de Mae West : Is that a gun in your pocket or are you just happy to see me ? Le premier ministre néerlandais en est resté bouche bée.

Les blagues d’Angela Merkel sont meilleures que celles qu’on fait à son sujet, rapporte la journaliste Florence Autret, auteure de la biographie de la chancelière d’où est tirée l’anecdote précédente.

Chose certaine, les Allemands l’aimaient. Celle qui a travaillé avec quatre présidents américains et cinq premiers ministres britanniques a aussi été appréciée à l’extérieur de son pays, parce qu’elle a prouvé qu’on pouvait faire de la politique honnêtement et intelligemment. Merci, Mme Merkel.