Le célèbre « Achetez maintenant et payez plus tard » s’est transformé dans de nombreux magasins de meubles en « Payez maintenant plus cher et recevez plus tard ». À l’achat d’un canapé ou d’un ensemble de salle à manger en ligne, il faut souvent payer la totalité du bien, facture qui a nettement augmenté depuis juin, même si la date de livraison pourrait bien être dans six ou neuf mois. Enjeux, risques et droits.

Vous avez craqué au début de janvier pour un ensemble de meubles de jardin sur le site de Brault et Martineau et l’avez reçu en juillet ? Vous avez enfin trouvé les chaises de salle à manger parfaites chez Mobilia qui arriveront le… 7 mai 2022 selon le site internet ? L’attente sera peut-être moins longue pour un buffet chez Structube, Maison Corbeil ou Must Société, mais rien n’est sûr. Car justement, le site de Must Société indique « Disponible en pré-commande, retour en stock prévu en octobre ».

Si la date de livraison reste floue, ce qui est certain, c’est qu’en achetant en ligne, vous devez payer l’intégralité du bien sans savoir quand il sera possible d’en profiter. Pendant les six mois d’attente, les 2000 $ réservés pour votre ensemble de jardin auraient pu rapporter 148 $ s’ils avaient été placés dans un fonds indiciel de la Bourse de Toronto. Les 5000 $ destinés à un ensemble de salle à manger, eux, auraient pu générer un gain de 556 $ dans un autre fonds indiciel.

Et l’acompte comme en magasin ?

PHOTO FOURNIE PAR MAISON CORBEIL

Maison Corbeil affirme que c’est une pratique commune de facturer la somme totale sur la carte de crédit.

Lors d’un achat en magasin, les commerçants donnent la possibilité de ne verser qu’un acompte. Pourquoi est-ce différent en ligne ?

« C’est une décision d’affaires. Quand on a lancé notre commerce en ligne, on a regardé ce qui se faisait, ce qui était un standard du commerce en ligne. C’est une pratique commune de prendre le montant total sur la carte de crédit », explique en entrevue téléphonique Marie-Josée Gagné, directrice, marketing numérique et contenu, pour Maison Corbeil, Must Société, La Galerie du Meuble et Jardin de Ville (G2MC).

« Dans les logiciels de commerce en ligne, en termes de construction back end, c’est l’option qu’ils vont recommander par défaut, poursuit-elle. Si on voulait donner la possibilité de demander un acompte, il faudrait faire du développement. Ce n’est pas quelque chose de standard. »

Mêmes constats pour Mobilia et Structube. « À cause d’enjeux technologiques qui limitent la retenue d’un montant lié à une transaction numérique pour 30 jours, nous sommes dans l’impossibilité d’offrir cette option d’acompte », soutient Structube.

« Depuis le début de nos commerces en ligne, on ne s’est jamais fait questionner par les clients, car ils sont habitués à ce que les commandes en ligne soient payées au complet. On n’a pas pensé ajuster cette mesure-là, on n’a même pas pensé que ça les importunait », renchérit Marie-Josée Gagné, de G2MC.

Les clients peuvent en tout temps procéder à l’annulation de leurs commandes en ligne et obtenir un remboursement, assurent les détaillants.

Pourquoi plus cher et si long ?

Avant la pandémie, les clients recevaient leurs meubles à la maison dans un court délai, affirme Structube. « À cause de la pandémie et des impacts occasionnés sur la chaîne d’approvisionnement, [il y a] de plus grands délais de livraison, plus spécialement pour des commandes de produits en cours de réapprovisionnement », explique le détaillant.

L’an dernier, de nombreux consommateurs ont soudain eu envie d’avoir des meubles au même moment alors que tout était fermé, et les retards accumulés en 2020 n’ont pas tous été rattrapés, soutient Marie-Josée Gagné.

Les clients ne comprennent pas qu’on parle encore des délais liés à la COVID. Le variant Delta a aussi affecté tous les pays producteurs en Asie.

Marie-Josée Gagné, directrice, marketing numérique et contenu, pour Maison Corbeil, Must Société, La Galerie du Meuble et Jardin de Ville

Pour ce qui est de l’augmentation des prix, qui peut varier de 30 $ de plus pour une chaise de salle à manger à 170 $ pour un buffet (selon ce que nous avons observé sur les sites des détaillants), elle est causée par la hausse des prix des conteneurs et la hausse des coûts douaniers. Les sièges rembourrés importés de la Chine et du Viêtnam sont par exemple visés par une augmentation provisoire des tarifs douaniers liée à une enquête sur le dumping et les subventions.

Risqué de payer la totalité ?

« Si vous payez à l’avance pour votre frigo qui va être livré dans six mois et que le commerce ferme entre-temps, vous allez être mal pris », illustre l’avocate Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique chez Option consommateurs.

En cas de faillite, est-ce que les clients recevront la totalité de la somme qu’ils ont payée pour le produit ? Certains consommateurs ont en tête celle de Maison Éthier en 2019.

« Il y a toujours un risque pour le consommateur de payer un bien ou un service à l’avance. C’est pourquoi l’Office recommande de ne pas le faire ou, si un acompte est exigé, de verser la plus petite somme possible et de payer avec une carte de crédit », avertit Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC).

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Dans le cas de la faillite de Gestion Maison Éthier inc., l’Office a indemnisé 46 réclamants pour un total de 54 046 $.

Charles Tanguay et Sylvie De Bellefeuille rappellent toutefois que si le contrat prévoit la livraison du bien par le commerçant plus de deux mois après sa signature, le commerçant doit protéger les sommes payées à l’avance en plaçant l’argent dans un compte en fidéicommis. C’est prévu dans la Loi sur la protection du consommateur.

Par contre, les règles qui découlent de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pourraient empêcher l’accomplissement de cette fiducie légale, prévient Charles Tanguay.

Les clients pourraient être considérés comme des créanciers ordinaires dans la faillite et ne recevoir qu’une part infime de ce qui leur est dû, voire rien du tout.

Pour les commerçants exemptés de l’obligation d’avoir un compte en fidéicommis, il y a le cautionnement à l’OPC. La somme exigible varie de 40 000 $ à 160 000 $ selon le chiffre d’affaires de l’entreprise.

Le fait de verser un acompte ou de faire le paiement complet auprès d’un commerçant qui a donné un cautionnement à l’OPC peut diminuer les risques pour le consommateur. « Toutefois, dans le cas où le total des réclamations excède le montant du cautionnement, les indemnités sont calculées au prorata », indique Charles Tanguay.

Dans le cas de la faillite de Gestion Maison Éthier inc., l’Office a indemnisé 46 réclamants pour un total de 54 046 $, rappelle Charles Tanguay. « Nous ignorons toutefois si d’autres clients ont pu être remboursés autrement, par exemple dans le cadre du processus de faillite, ou encore par l’émetteur de leur carte de crédit. »

Acheter en ligne en payant avec une carte de crédit assure une garantie supplémentaire, soutient Sylvie De Bellefeuille, d’Option consommateurs. « Dans le cas où le commerce ferme ses portes, cautionnement ou pas, compte en fidéicommis ou pas, je peux m’adresser à l’émetteur de ma carte de crédit qui se chargera de récupérer ses billes par la suite. »