J’ai toujours pensé qu’il était illusoire de s’en remettre à la bonne volonté des grandes entreprises pour la réalisation de nos missions sociales.

Illusoire de croire que les entreprises inscrites en Bourse allaient embrasser les fameux objectifs ESG, pour environnemental, social et de bonne gouvernance, et s’en faire les porte-étendards. Illusoire de croire au capitalisme social.

Le rôle de ces organisations n’est pas de préserver l’environnement ou de favoriser la diversité, mais de faire des profits, d’être rentables, de battre la concurrence, de survivre. Tout le reste sera toujours secondaire. C’est cru, mais c’est ainsi.

On en voit un bon exemple avec la multinationale Danone. Le géant de l’alimentation vient de démettre son PDG aux pratiques ESG exemplaires parce que certains gros actionnaires se plaignaient de la chute des profits à court terme. Et Danone vient de supprimer 1850 postes pour réduire ses coûts et augmenter ses profits. J’y reviens plus loin.

PHOTO PASCAL ROSSIGNOL, ARCHIVES REUTERS

Danone vient de démettre son PDG, Emmanuel Faber, aux pratiques ESG exemplaires parce que certains gros actionnaires se plaignaient de la chute des profits à court terme.

Oui, une entreprise peut accroître la diversité dans son organisation, devenir plus respectueuse de l’environnement et vouloir créer des emplois, mais ces intentions doivent servir sa cause principale : faire du « cash ».

Parfois, une grande entreprise peut, en apparence, sembler moderne et sociale, avoir un grand cœur, mais la plupart du temps, c’est, au bout du compte, pour des raisons de marketing : être verte, durable et diversifiée permet d’améliorer son image, son positionnement, ce qui l’amène à faire plus de ventes, d’attirer de meilleurs employés… et de faire plus de profits.

Vous me suivez ?

Emmanuel Faber était PDG de la multinationale de l’alimentation Danone jusqu’au 15 mars 2021. Danone, c’est l’eau Évian et les yogourts Activia et Oïkos, entre autres, et un chiffre d’affaires de près de 24 milliards d’euros.

Faber était LE modèle cité partout pour ses pratiques ESG exemplaires. Dans son récent livre, l’ex-gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre Mark Carney encensait Faber pour sa volonté de ne pas considérer le seul profit comme objectif d’entreprise, d’avoir aussi une conscience sociale.

Danone s’est distinguée ces dernières années par ses pratiques ESG remarquables. Un exemple ? Au début de 2020, Danone annonçait qu’elle publierait désormais ses profits annuels en deux volets, l’un de façon traditionnelle, l’autre en supposant l’imposition d’un prix du carbone à quelque 50 $ la tonne.

Pour l’année 2019, le premier donnait un profit de 5,70 $ par action et le second, de 4,37 $ par action, soit 24 % de moins. On n’ose pas imaginer ce que deviendraient ses profits à un prix du carbone de 170 $ la tonne, comme le veut l’objectif du gouvernement Trudeau pour 2030. Ou encore les changements qu’exigera un tel prix du carbone pour Danone.

La multinationale française s’est aussi donné comme mission de favoriser l’agriculture durable, de diminuer l’utilisation du plastique pour ses produits et de devenir carboneutre en 2050. Son slogan, décliné en anglais seulement : Danone, One Planet. One Health.

Ces actions avant-gardistes ont donné espoir en un monde meilleur, motivé par le respect de l’environnement avant les profits. À long terme, ne soyons pas naïfs, ces gestes d’une société qui vend des produits alimentaires dits sains sont probablement un positionnement marketing incontournable pour continuer à maximiser… ses profits.

La décision du 15 mars du conseil d’administration de Danone de mettre fin au mandat de M. Faber a été surprenante. Deux semaines plus tôt, le 1er mars, le conseil disait unanimement renouveler son appui au PDG, se contentant de suivre la proposition de M. Faber de séparer les postes de président du conseil et de chef de la direction.

Le conseil a visiblement été sensible aux pressions des actionnaires militants. Depuis le début de l’année, un groupe dirigé par BlueBell Capital Partners se plaignait de la direction de M. Faber, jugeant sa performance insatisfaisante à court terme. L’action de l’entreprise a plongé depuis deux ans, passant d’un sommet de 80 euros en septembre 2019 à 57 euros au début de mars.

Et ces militants ont eu gain de cause. Le cofondateur de BlueBell Marco Taricco a déclaré au Financial Times n’avoir rien contre la mission environnementale de Danone. « Mais ça ne peut se faire aux dépens du rendement des actionnaires. Le premier devoir d’une entreprise en Bourse est de rémunérer ses actionnaires1. »

La suppression de 1850 postes le 1er avril, dont 500 en France, est une bonne illustration de ce rôle central d’une entreprise.

Morale de cette histoire, selon moi : le fait de s’en remettre à la bonne volonté des entreprises pour atteindre nos objectifs sociaux et environnementaux est voué à l’échec. Ce n’est pas un désaveu des décisions des entreprises à proprement parler – et encore moins des entrepreneurs –, c’est simplement que ce n’est pas leur raison d’être.

Et ultimement, la vaste majorité des actionnaires en Bourse veulent avoir des rendements, pas de bonnes pratiques sociales et environnementales.

Pour que les entreprises réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre, qu’elles nomment plus de femmes et tout le reste, il faut que des normes leur soient imposées par les autorités (gouvernements, organismes de réglementation, etc.). Ou encore que les grands régimes de retraite, pressurés par leurs cotisants, exigent des changements.

Sans ces contraintes, une entreprise finira toujours par faire une croix sur sa généreuse mission sociale quand l’occasion le justifiera.

1. À ce sujet, il faut lire le chroniqueur Terrence Corcoran dans le Financial Post du 31 mars (en anglais). Je ne partage pas sa vision, mais il décrit bien la problématique et les enjeux de Danone.