Ils ont troqué les plateaux de tournage pour une plateforme web, se sont transformés de comédiens en entrepreneurs. Avec Salu, ils permettent aux artistes désœuvrés par la crise de trouver un revenu d’appoint en offrant leurs salutations personnalisées.

Pour le comédien Olivier Gervais-Courchesne, l’année 2020 se présentait pourtant sous les meilleurs augures.

« En mars dernier, j’étais prêt. J’avais une soixantaine de jours de tournage sur les saisons 2 des Honorables et de Cerebrum, j’avais mes textes, je faisais du jogging, je mangeais bien, tout était beau, j’étais motivé. »

Puis soudain, vide sidéral dans l’univers artistique.

« On a fait des apéros sur Zoom comme tout le monde, pour se faire croire qu’on avait encore une vie sociale. »

C’est lors d’une de ces illusions sociales que son ami Alexandre Giguère a lancé une blague : tout comme cette chèvre qu’on peut louer pour animer les visioconférences sur Zoom, Olivier devrait louer ses services pour une réunion virtuelle des fans de la série Ramdam – « dans laquelle j’ai joué étant plus jeune, mes amis aiment beaucoup me le rappeler ! », précise la chèv… l’intéressé.

« On l’a ri, et après ça, on a dit : attends donc une minute, ce n’est peut-être pas niaiseux ! »

Pourquoi pas une plateforme web sur laquelle les comédiens et artistes privés de travail proposeraient des messages vidéo personnalisés à leurs admirateurs, contre (petit) cachet ?

« On a planché là-dessus pendant six mois. »

On ?

Son collègue comédien Olivier Barrette, par ailleurs graphiste talentueux.

Son ami blagueur Alexandre Giguère, professeur de chimie et touche-à-tout cartésien.

L’ami du secondaire de ce dernier, Alexandre McGraw, musicien et programmeur-analyste consultant.

Le projet

Le projet a commencé à se concrétiser – façon de parler pour un produit numérique – en septembre.

« J’ai élaboré la plateforme et travaillé avec l’ingénieur informatique Alexandre McGraw pour qu’elle puisse voir le jour », précise Alexandre Giguère.

Alexandre Giguère, « c’est le cerveau entrepreneurial, intervient Olivier Gervais-Courchesne. C’est une excellente idée que cette plateforme, mais moi qui suis un artiste de tout temps, je n’aurais jamais été capable de la réaliser moi-même. Je n’ai pas la rigueur et l’esprit cartésien d’Alexandre. »

Par contre, il avait des contacts. Surmontant sa gêne et sa crainte d’importuner ses amis, il s’est consacré au recrutement.

« Il y a peut-être deux semaines, j’ai écrit à mon Rolodex de comédiens au complet. Je relance les agents d’artistes, de sportifs, d’animateurs, les influenceurs web, tout le monde qui pourrait avoir sa place sur notre plateforme. »

« Franchement, mes craintes ont été essuyées en un instant, parce que la réponse n’est que positive. »

Plus d’une quarantaine d’artistes et personnalités se sont déjà inscrits.

On peut donner des noms ?

« Laissez-moi juste ouvrir mon petit fichier Excel devant moi. Alors entre autres : Catherine Brunet, Léane Labrèche-Dor, Mickaël Gouin, Éric Bernier, Debbie Lynch-White, Michel Barrette, Vincent Leclerc, Arnaud Soly, Antoine Bertrand… »

Plus quelques pointures qu’ils ne peuvent annoncer encore.

« Les inscriptions entrent. C’est très encourageant. »

Le fonctionnement

Le projet combine une plateforme web pour le public et une application mobile à l’usage des artistes.

Les clients pourront se rendre sur le site salu.video, où ils trouveront une liste des personnalités inscrites au service.

« On ouvre la page profil de notre personnalité, et il y a un petit formulaire tout simple : à qui, de qui, pour quelle occasion, décrit Olivier. Il y a un petit champ où on va pouvoir écrire : ‟Salut, ma sœur trippe vraiment sur toi, ton dernier album l’a fait passer au travers de sa peine d’amour récente, elle va beaucoup mieux maintenant, est-ce que tu peux lui souhaiter joyeux anniversaire, c’est sa fête samedi ?" »

La requête concernant la sœur d’Olivier sera reçue par l’artiste consolateur sur l’application développée par Alexandre McGraw.

« Bling ! "Vous avez une demande de Salu !" Vous pouvez l’accepter ou la refuser. Ensuite, en un clic, la caméra s’ouvre. Tu enregistres ton petit Salu, un autre clic, pow ! c’est envoyé, la personne le reçoit, tout le monde est heureux. »

Les onomatopées ne sont peut-être pas parfaitement représentatives.

Gérer le succès

« On ne sait pas quel succès va avoir Salu, poursuit Olivier. Nos prévisions sont basées sur un modèle où l’artiste demanderait 50 $ par vidéo de 30 à 45 secondes et en ferait une par jour. Ça ferait presque 14 000 $ en revenu marginal à la fin de l’année. »

L’entreprise conserve 25 % du cachet et verse 10 % de ses profits à la Fondation des artistes.

Par l’intermédiaire de la plateforme, chaque artiste peut choisir de donner une partie ou l’entièreté de son cachet à l’œuvre de bienfaisance de son choix.

« C’est donc une plateforme de solidarité pour les artistes, les artisans, les personnalités publiques affectées par la crise, dit-il. Ça permet de rester en contact avec son public, et c’est une forme de Panier bleu. »

On peut penser que le succès attirant le succès, les personnalités les plus connues s’attireront la plus grande clientèle.

« Chacun a son public, quand même, rétorque Olivier. Chacun peut y trouver son compte, j’en suis convaincu. »

D’autant plus que chacun fixe son prix.

« Il y a des gens qu’on n’a pas annoncés encore, des gens peut-être avec un lustre plus international, qui disent qu’il y aurait beaucoup trop de demandes si le prix était trop accessible. Peut-être que leur prix va monter un peu pour faire un peu moins de demandes. »

« J’ajouterais aussi qu’il va aussi y avoir une espèce d’algorithme pour qu’on tente de trouver un équilibre entre l’offre et la demande, glisse Alexandre Giguère. Rapidement, à l’usage de la plateforme, on va être capables d’identifier le prix avec lequel l’artiste est confortable de travailler et qui génère un nombre de demandes que l’artiste est capable de gérer. »

Lancement prochain

La plateforme devrait être lancée le 16 novembre.

Tout est mitonné maison : le graphisme par Olivier Barrette, la musique par Olivier Gervais-Courchesne.

L’aventure est financée par leurs fonds propres. « Ce sont nos économies, indique Alexandre. Ce n’est peut-être pas le meilleur choix, mais on a sorti certaines sommes de nos CELI. »

Ils sont convaincus que salu.video conservera sa pertinence au-delà de la COVID-19.

« C’est beaucoup de travail, reconnaît Olivier Gervais-Courchesne. Moi, je ne pensais jamais être entrepreneur web dans la vie ! Tous les gens à qui j’en parle dans mon entourage ont les sourcils bien hauts, mais c’est un beau défi qui m’a permis de meubler mon confinement, de faire en sorte que je ne vire pas fou. »

Il sera inscrit sur sa plateforme, lui aussi.