Les traiteurs, ces restaurateurs sans domicile fixe, sont laminés par la COVID-19. Pas d’évènements, pas de réceptions, pas de réunions d’affaires. Pour Agnus Dei, ne reste que la créativité.

Dans le raz-de-marée pandémique, David Carrier a tout essayé pour surnager.

« On a fait par exemple des boîtes de bonbons de couleurs, rouges, jaunes, verts… », raconte le propriétaire des traiteurs Avec Plaisirs et Agnus Dei. « On a fait une vidéo pour montrer aux enfants comment faire un arc-en-ciel de bonbons. Je trouvais ça incroyable : je vais en vendre 2000 ! »

Résultat : « J’en ai vendu quatre. »

L’idée était jolie, mais n’avait rien à voir avec les forces de son entreprise. Forces qui ressemblent beaucoup aux siennes : créativité et logistique. Elles ne sont pas nécessairement antinomiques, a-t-il appris en apprenant à se connaître, au fil des années.

« Pour la petite histoire, mon père et ma mère ont fondé Agnus Dei. Mon père, c’est une espèce de Québécois fou, c’est un architecte, vraiment une machine de guerre en créativité. Tandis que ma mère est une Suisse protestante ingénieure. Quand j’ai racheté la compagnie, il y a 12 ans, je l’ai appelée Maison Carrier Besson pour honorer ces deux pôles-là. »

Et lui, pour ses études, a-t-il choisi l’architecture ou le génie ?

Il a penché du « côté rationnel pour inconsciemment venir équilibrer la famille », répond-il avec délicatesse – une manière de contrepoids à l’exubérance de son père.

Il a fait des études en finances et un certificat en droit. Du sérieux. Puis il a fondé Avec Plaisirs, sur le territoire de son père.

« J’ai fait une compagnie très axée sur la logistique, très structurée, alors que la compagnie Agnus Dei, c’était très créatif, lousse un peu. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LAPRESSE

Les employés de la Maison Carrier Besson à l’œuvre dans les cuisines

Après cinq ans, il était le plus important traiteur de Montréal… au coude à coude avec son père.

« C’était un peu débile. On était dans la même famille et on était les deux leaders en ville. Ça n’avait aucun sens. C’est là, avec mon père, que j’ai décidé de réunir les deux compagnies. »

« Je suis passé par un grand détour par le côté rationnel pour m’apercevoir après un bout de temps que j’étais plus créatif qu’ingénieur. Je ressemble finalement plus à mon père. »

Pour le comprendre, « ça m’a pris différentes affaires, dont un prof de chant incroyable, qui m’a allumé sur ma créativité et ma sensibilité ».

La crise

Alors que la saison morte de janvier et février tirait à sa fin, la pandémie mortifère a annihilé la haute saison des traiteurs.

David Carrier a dû fermer Agnus Dei, qui se spécialise dans les évènements. Puis la salle de réception Scena, dans le Vieux-Port. Et le restaurant que l’entreprise gère dans un hôtel montréalais.

« On s’est concentrés sur Avec Plaisirs », indique-t-il. Spécialisé en repas d’affaires, le traiteur a trouvé quelques débouchés dans le soutien aux CHSLD, hôpitaux et fondations, « mais c’était faible, vraiment faible ».

L’été, une saison sèche pour les traiteurs, n’a pas apporté d’eau au moulin. « En juillet et août, d’habitude, on fait 5 % de notre chiffre d’affaires. Là, 5 % de zéro, ça donne quand même zéro », calcule-t-il en riant.

« On est tombés en hibernation d’été, si on peut dire. » On peut, d’autant que l’image est belle.

Hélas, l’automne n’a pas relancé les affaires.

« C’est vraiment dur. En zone rouge, ça nous a complètement mis à terre », constate l’entrepreneur, qui n’a pu conserver que le quart de ses quelque 125 employés à temps plein.

« On vit la même chose que les restaurateurs. Parce que nous, nos salles à manger, ce sont les salles de réception. Là, nos salles à manger sont fermées. »

Les traiteurs n’ont ni porte sur rue pour le prêt-à-emporter ni porte-voix en la personne d’un chef prestigieux, souligne-t-il.

Tout le monde des traiteurs, qui d’habitude font des réceptions, des mariages ou des rencontres corporatives, a été frappé vraiment fort. Certains de mes comparses qui sont seulement dans l’évènementiel font 0 % de leur chiffre d’affaires. Ah, c’est dur, c’est quelque chose.

David Carrier

Arrêt aux puits

David Carrier a d’autres métaphores en réserve.

Avec la crise, son entreprise était en arrêt aux puits, comme sur un circuit de Formule 1, dit-il.

C’était l’occasion d’une mise au point.

Par quoi se distinguait la Maison Carrier Besson, dans le vaste univers de la restauration ?

D’abord par la créativité et la mise en scène.

« On utilise la nourriture un peu comme un médium, décrit-il. De la même façon que le son et la lumière, on ajoute de la nourriture dans le mix d’un évènement. »

Ensuite par la logistique entourant ses complexes opérations. « Avec Plaisirs sortait quand même 200 livraisons de repas par jour, et tout le monde devait manger entre 11 h et 13 h. »

En couplant ces deux moteurs, il était possible de retourner en piste.

Prêts à manger

Avec Plaisirs a lancé un service de boîtes de repas livrées à domicile, qui met à profit sa cuisine de 18 000 pi2 et son parc de camions réfrigérés.

Chez Agnus Dei, le même concept a pris la forme étonnante d’une « boîte événementielle ».

« L’idée, c’est de livrer l’évènement chez les gens », décrit David Carrier.

Avant, quand Agnus Dei faisait un évènement, par exemple au Marché Bonsecours, on avait 40 tables avec des numéros et on envoyait nos serveurs porter les plats. Maintenant, le Marché Bonsecours, c’est le Québec, et les tables avec des numéros, c’est des maisons avec des adresses.

David Carrier

Le monde à l’envers

Il donne un exemple. « On a sorti la boîte Chez Léon. Léon, c’est Noël à l’envers. »

Le concept, qui existait depuis 10 ans à la Scena, consiste à tenir une réception de Noël inversée – dans la salle du Vieux-Port, les invités donnaient un cadeau au père Noël, sous des tables renversées au plafond, d’où pendaient des bouchées accrochées à des fils.

« On a pris cette histoire et on l’a mise dans une boîte, pour le corporatif, mais aussi le grand public. »

Le repas de la boîte Chez Léon commence par le dessert principal, « une bûche de Noël au magret de canard et foie gras. Ensuite, le premier dessert est une tarte Tatin aux tomates cerises et mozzarella di bufala ». Au centre, le plat principal, une côte courte de bœuf, fait office de pivot. Le repas se clôt avec « l’entrée des artistes », un dessert à colorer soi-même au pinceau.

Alors qu’il s’attendait à livrer des boîtes individuelles, ce sont surtout des boîtes pour deux ou quatre personnes, donc pour des couples ou des familles, que les entreprises commandent. Les entreprises reconnaissent ainsi la pression que le télétravail fait peser sur les proches de leurs employés.

En décembre, Agnus Dei organise pour une entreprise un évènement « en boîte » qui nécessite 2500 envois. « Il n’y a pas un restaurant qui peut sortir ça ! », s’exclame David Carrier.

« Avec cette nouvelle vision, on pense qu’on va pouvoir ramener nos gens et en plus faire ce qu’on aime, c’est-à-dire de la créativité, des choses plus intéressantes au niveau de la logistique. »

« C’est comme ça qu’on essaie de se sortir du trouble. »

(Appel à tous)

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