Un franchisé veut pouvoir vendre du vin pour « survivre à la pandémie »

Attirer des centaines de clients à la fois avec de bons prix et la possibilité d’apporter son vin : le modèle d’affaires des 31 restaurants Casa Grecque entre en collision frontale avec les restrictions sanitaires qui limitent la fréquentation des restaurants, au point de déclencher une guerre devant la justice entre franchiseur et franchisé.

Un restaurateur de la chaîne a commencé cet été à servir lui-même de l’alcool pour « survivre à la pandémie » en touchant des revenus supplémentaires. Ce faisant, il a déclenché la colère du géant québécois MTY, qui a acheté l’enseigne Casa Grecque en 2018 et veut que ses clients puissent continuer à boire leur propre vin.

Le conflit pourrait se reproduire dans d’autres commerces franchisés où la ligne est mince entre adaptation à la pandémie et trahison des principes fondateurs d’une marque.

Pour Nick Rothos, propriétaire de la Casa Grecque de Granby, le choix était clair : « Je crois que l’ancien modèle d’affaires, basé sur un gros volume de clients qui peuvent apporter leur vin, ne survivra pas à la COVID-19 », a-t-il écrit dans un courriel à MTY, à la mi-avril.

« Personne ne sait quand nous retrouverons notre volume de clientèle habituel et cela nous rend très vulnérables. »

« Un danger financier certain »

La solution, pour M. Rothos, consistait à renier le concept « Apportez votre vin », que la Casa Grecque avait pourtant contribué à importer au Québec il y a 40 ans.

MTY était d’un autre avis, soulignant que la possibilité pour les clients d’apporter leurs propres boissons faisait partie de l’« ADN de la marque ».

L’innovation créative est toujours positive et bien accueillie, mais nous ne croyons pas qu’il s’agit du bon moment pour mettre en place des changements radicaux à notre image de marque.

MTY

Le mois dernier, MTY a demandé une injonction d’urgence à la justice afin d’empêcher la Casa Grecque de Granby de servir son propre vin.

Le juge Thomas M. David, de la Cour supérieure, a refusé la demande dans une décision datée de la mi-juillet. Il a estimé qu’étant donné les investissements importants effectués par Nick Rothos pour servir ses propres boissons alcoolisées, l’impact d’une telle injonction serait trop grave pour lui. « Un danger financier certain le guette », a écrit le magistrat.

« MTY pâtira d’une certaine confusion autour de la marque Casa Grecque, mais sa survie financière n’est pas en jeu à cause de cette confusion », a-t-il continué en rejetant la demande de l’entreprise.

M. Rothos n’était pas disponible pour s’entretenir avec La Presse avant la semaine prochaine. MTY n’a pas rappelé.

« Il n’y a plus rien qui tient »

Vendre de l’alcool dans un établissement « Apportez votre vin » n’est que l’un des moyens employés par les restaurateurs pour tenter de garder la tête hors de l’eau en pleine pandémie, a expliqué François Meunier, porte-parole de l’Association Restauration Québec.

« Tout le monde est dans la schnout jusqu’aux oreilles, a-t-il dit. Il n’y a plus rien qui tient, on n’est plus sur la même planète. Les gens doivent réévaluer leur modèle d’affaires, leur offre de nourriture. Il n’y a personne qui a trouvé la piste d’atterrissage parfaite. »

M. Meunier a affirmé qu’il n’avait pas détecté de tendance de fond vers l’abandon du concept « Apportez votre vin ».

Mais j’ai 5600 membres. Tout administrateur aguerri doit se requestionner sur ses pratiques à l’heure actuelle.

François Meunier

Pour Loïc Chazay, qui dirige la firme de consultants en restauration Toques Marketing, c’est tout le modèle du restaurant à grande salle qui est fragilisé par la COVID-19. Et il était déjà vulnérable.

« Les restaurants de 200 places, on risque de voir ça de moins en moins, a-t-il dit. La tendance depuis les trois à cinq dernières années était déjà à voir de moins en moins de places assises. »

M. Chazay voit plusieurs de ses clients se lancer dans une « refonte complète de leur modèle d’affaires ». Mais comme « les règlements changent – pas toutes les semaines, mais presque –, c’est très difficile ».

Francis Ladouceur, lui aussi consultant en restauration, n’est pas plus optimiste pour les restaurants qui ont parié sur des assiettes au rabais et la possibilité d’apporter son vin pour attirer les foules.

« Au Québec, on a beaucoup de restaurateurs qui fonctionnent au volume. Tous les prix du menu sont fixés pour faire 400 ou 500 clients un samedi. Les assiettes ne sont pas chères, mais ils en font tellement qu’ils rentrent dans leur argent, a-t-il dit. Si on enlève 50 % de leur chiffre d’affaires, je ne vois pas comment ils vont survivre. Ça ne fonctionnera pas. »