Tout ça a commencé par un coupe-pâte.

Un coupe-pâte de boulangerie.

Pendant que des milliers de travailleurs de la santé sont au cœur de la crise et à des années-lumière de s’imaginer faire leur propre pain – important de s’en souvenir –, une partie de la population, les personnes confinées, et dont le budget leur permet encore d’acheter les ingrédients, boulangent. Et boulangent encore.

Les épuisements de stocks de farine et de levain l’ont montré.

Et c’est ce qui se passe chez nous.

Et qui dit boulangerie, dit coupe-pâte.

Il nous en faut un.

Évidemment, on le trouvera sur Le Panier Bleu, ce site web lancé avec l’appui du gouvernement du Québec au début de la crise, pour nous encourager à « acheter local » et donc à soutenir l’économie d’ici. Site non transactionnel mis sur pied avec 275 000 $ d’argent public, sur lequel plus de 13 000 commerces sont maintenant inscrits.

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Avant d’aller plus loin, je veux juste préciser que l’achat local est une nécessité maintenant plus que jamais, mais il l’a toujours été et devrait le rester bien après la crise. 

Choisir de nous procurer des produits d’ici, prêter main-forte aux commerces d’ici, c’est participer à bien plus que notre unique prospérité. C’est un geste de solidarité sociale et économique aux mille bénéfices, qui va de l’occupation du territoire au développement de savoirs, en passant par le tissage de liens humains communautaires vitaux à toute société. 

Un vrai commerce, ce n’est jamais juste un seul espace transactionnel. C’est un carrefour. Je m’arrête ici, je pourrais écrire une thèse de doctorat sur le sujet.

Donc, comme je veux que mon achat d’outil de cuisine ne soit pas un geste banal, je pars sur lepanierbleu.ca.

Au départ, je suis sur un MacBook Air et, pour une raison que j’ignore – probablement mon incompétence informatique, qui est quand même, je le crois, dans la moyenne, et ce, peu importe le navigateur, Safari ou Chrome –, je suis incapable de choisir Montréal comme région de recherche sur le site. Par contre, sur mon téléphone et mon ordinateur de bureau, ça marche.

Donc, dans le moteur de recherche, je tape « outils de cuisine » et je tombe sur un site qui vend des outils pour le barbecue. Ça s’appelle BBQ Croc, c’est une entreprise de Kirkland qui distribue ses pinces à griller jusqu’en Europe. Merci, Le Panier Bleu, de me la faire découvrir, quand j’en aurai besoin, j’irai la voir. Peut-être même que j’écrirai un article un jour à son sujet. En attendant, je cherche un coupe-pâte.

Deuxième essai : objets de cuisine. Cette fois, on me propose la boutique Édition.

C’est une boutique que j’adore ! Elle est dans le Vieux-Montréal, rue Saint-Paul, près de Saint-Pierre, tout près de la Maison Pepin. Dans ce commerce, qui met vraiment de l’avant le design québécois, façon Souk Montréal, on vend des objets décoratifs, dont des bijoux sublimes de Gabrielle Desmarais, des trucs magnifiques.

Mais des outils pour la boulangerie ? Ça, non. Vraiment pas.

Donc, j’essaie de nouveau ma recherche, cette fois avec « articles de cuisine » et là, enfin, je trouve ce que je cherche : la boutique de Ricardo. Malheureusement, le lien ne marche pas. Puis, j’arrive sur le site de Design & Realisation, entreprise montréalaise qui a tous les outils de pâtisserie, de chocolaterie et de boulangerie dont on peut rêver et qui est d’ailleurs un chef de file nord-américain dans ce créneau. Évidemment, il y a des coupe-pâte. Enfin ! Sauf qu’il y a deux modèles. Le modèle « rond » et le modèle appelé « ces cheveux sont raides », plus carré.

C’est toujours ennuyeux, en pleine envolée de consommation patriotique québécoise, de tomber sur un moteur de traduction qui a l’air sorti d’un épisode d’Infoman.

Donc, je poursuis ma route dans la section Montréal et je cherche et je cherche. Et je me dis que je finirai par tomber sur le site de la Quincaillerie Dante de la Petite-Italie, commerce indépendant où je sais que j’ai de bonnes chances de trouver ce qu’il me faut. Mais je cherche encore et je croise encore la boutique Édition. Mais pas de Dante. Finalement, c’est en enlevant le filtre « Montréal » que je tombe bel et bien sur la quincaillerie, dont l’adresse montréalaise est pourtant clairement indiquée. Et là, je trouve mon coupe-pâte.

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Mes aventures au pays du Panier Bleu n’ont pas été idylliques. En cherchant des jouets, je suis tombée sur la Coop de la faculté de droit de l’Université de Montréal et aussi sur Salmo nature, boutique que j’adore, qui a tout en matière d’équipement de pêche à la mouche. Mon genre de jouet. Tant pis pour le train électrique.

Mais est-ce que c’est mieux qu’Amazon ?

C’est clair.

La démarche m’a fait penser aux Pages jaunes d’antan.

Selon moi, c’est la première étape dans la recherche.

La réponse ne tombe pas toute cuite dans le bec comme on y est habitué avec l’internet. Il y a des pistes. Et sûrement des découvertes à faire. Si on veut les faire. Ça prend l’envie de chercher un peu.

Voici qui peut s’inscrire : « Un restaurant offrant la livraison, des repas à emporter ou du prêt-à-manger et dont le siège social (ou la propriété) est québécois. Un commerce de détail physique ou en ligne dont le siège social est au Québec ou dont l’établissement est la propriété d’un affilié québécois. »

Donc, on s’entend, les produits ne sont pas nécessairement fabriqués ici.

Ça, c’est aussi un peu dommage.

Comment trouver non seulement les commerçants d’ici, mais également les marques d’ici dont les produits sont inventés, fabriqués et vendus ici ? Que ce soit des vêtements ou des cache-pots, de la peinture ou de la lasagne à réchauffer.

Si un franchisé Metro, supermarché bien d’ici, vend des pommes importées du Chili ou de l’État de Washington, alors que des produits québécois sont offerts, qu’est-ce qu’on dit ? Comment des vêtements fabriqués dans des pays en voie de développement, mais dessinés au Québec pour une chaîne à propriété québécoise, se classent-ils dans notre échelle de consommation locale ? Et si on ne nous dit pas d’où viennent les ingrédients des produits alimentaires transformés ici, comment savoir si c’est québécois et comment faire des choix en toute connaissance de cause ? Prenons par exemple du jus de pommes Rougemont préparé avec des pommes chinoises ou des pâtés au poulet cuisinés avec de la volaille importée de Thaïlande, pour parler de deux exemples qui ont frappé l’imagination au cours des dernières années.

Ce que propose Le Panier Bleu, c’est essentiellement une solution de rechange aux grandes plateformes de consommation qui dominent le marché, comme Amazon, bien sûr. Ou Wayfair. Mais la démarche de consommation locale est pas mal plus complexe que ça, si on veut vraiment encourager les entreprises d’ici, l’innovation d’ici, les investissements ici.

Le Panier Bleu est une bonne intention. Mais il faut aller beaucoup plus loin.