Grâce à une technologie reconnue mondialement et à un investissement de près de 100 millions dans un nouveau centre de distribution dans l’ouest de Montréal, l’épicier IGA compte assurer la livraison des achats en ligne aux clients en quelques heures. Un dossier de Marie-Eve Fournier.

« Le pari pour gagner » d’IGA

IGA a décidé de parier 95 millions de dollars sur une technologie reconnue mondialement qui doit lui permettre de rentabiliser ses ventes en ligne et d’offrir aux clients la livraison en quelques heures. À compter de 2021, les commandes seront assemblées par des robots dans un nouveau centre de distribution à Pointe-Claire qui pourrait employer jusqu’à 1500 personnes.

À l’heure actuelle, les commandes passées sur IGA.net sont assemblées dans le magasin le plus près du lieu de livraison par un employé qui parcourt les rangées. Autrement dit, tout est pris en charge par le marchand, qui s’occupe aussi de la livraison et récolte les fruits de la vente. Et ce, depuis 1996.

En se dotant d’un centre de distribution intégrant les robots ultrarapides imaginés par l’entreprise britannique Ocado, IGA changera de façon de faire. Les commandes seront toutes traitées au même endroit, ce qui permettra, dit-on, d’offrir « la meilleure expérience de commerce électronique au monde ».

« Avec la croissance rapide des ventes en ligne [de 40 à 50 % par an], on ne pouvait pas rester les bras croisés. Surtout qu’on est une enseigne de service », a expliqué en entrevue avec La Presse Pierre St-Laurent, vice-président exécutif, mise en marché nationale et Québec.

Robots rapides

Les robots d’Ocado remplissent un panier de 50 articles en seulement 5 minutes, soit le temps que prendrait un humain pour sillonner uniquement le rayon des fruits et légumes.

Ainsi, entre le moment où une commande est passée et celui où elle est déposée dans l’un des camions du futur parc d’IGA (100 au début, 500 à terme), on ne comptera que 15 minutes, précise en entrevue Sarah Joyce, vice-présidente principale, commerce électronique chez Empire (la société mère d’IGA).

PHOTO FOURNIE PAR OCADO

Sarah Joyce, vice-présidente, principale commerce électronique chez Empire, sur le chantier de construction de l’entrepôt de Toronto qui abritera la technologie d’Ocado

Cette efficacité, jumelée à un système de livraison fonctionnant avec des satellites (il y en aura six au Québec), permettra d’assurer la livraison en quelques heures, et ce, pour les clients de la région d’Ottawa jusqu’à la ville de Québec. Ailleurs dans la province, les marchands continueront d’offrir le service comme c’est le cas actuellement.

« C’est le modèle le plus performant à travers le monde et c’est la seule manière connue aujourd’hui de [vendre des aliments en ligne] de manière économiquement rentable », fait valoir Pierre St-Laurent.

De plus, les clients auront accès à 39 000 produits plutôt que 24 000 en moyenne dans leur supermarché. Et il n’y aura pas de ces substitutions frustrantes, car dès qu’un produit tombera en rupture de stock, il ne sera plus possible de l’acheter. Les prix seront les mêmes qu’au supermarché.

Gagner dans un marché en croissance

L’entreprise « fait le pari pour gagner », martèle Pierre St-Laurent, dans un marché où les ventes en ligne doubleront d’ici deux ans. À l’heure actuelle, elles ne génèrent qu’environ 1 % du chiffre d’affaires des épiciers, mais si l’on se fie à la tendance en Europe et aux États-Unis, la croissance n’est pas près de cesser. « Est-ce que ce sera 3 ou 4 % dans 7 ou 8 ans ? demande Pierre St-Laurent. On ne le sait pas. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre St-Laurent 

Chose certaine, Empire estime que le potentiel est assez grand pour justifier un investissement de 95 millions dans l’île de Montréal (sans compter le terrain) et un autre, de même valeur, près de Toronto (à Vaughan). L’entreprise y construit actuellement un autre centre de distribution en partenariat avec Ocado qui sera opérationnel dans un an. Là aussi, à terme, on emploiera 1500 personnes, prévoit-on.

Au Québec, le nouveau centre de distribution d’IGA (295 000 pi2) sera érigé sur un terrain de près de 1 million de pieds carrés en bordure de l’autoroute 40. Le vaste espace a été acheté par le fonds de placement immobilier Crombie, également détenu par Empire. Cet été, l’édifice vacant qui s’y trouve sera démoli. La construction commencera « fin 2019 ou début 2020 ». Empire sera le locataire des lieux.

Même si Empire n’a pas encore testé l’efficacité du système mis au point par Ocado, le « niveau de confiance est suffisamment élevé pour y aller tout de suite [avec Montréal] », souligne Pierre St-Laurent. Il faut dire qu’Ocado suscite l’intérêt un peu partout dans le monde avec son système, qui a notamment trouvé preneur en France, aux États-Unis et en Australie (voir l’onglet suivant).

Empire prévoit déjà se doter de deux autres centres de distribution robotisés au pays, ce qui lui permettrait de desservir 75 % des Canadiens.

Entente avec les marchands

La méthode actuelle de traitement des commandes, qui requiert beaucoup d’intervention humaine dans un secteur à faibles marges de profit, « n’est pas soutenable à long terme », croit Pierre St-Laurent. Les marchands IGA font-ils des profits avec les commandes passées en ligne ? « Personnellement, je ne crois pas », dit-il.

« Dans l’industrie, personne ne fait d’argent avec ça », s’empresse d’ajouter Sarah Joyce.

Avec Voilà par IGA (ce sera le nom du service), les coûts sont « sortis des épiceries ». Qu’en disent les marchands ? La réaction n’est pas uniforme, admet le dirigeant. Certains vendent beaucoup en ligne, d’autres peu, certains peinent à trouver des employés pour assurer le service… « Quand tu reçois 20 commandes par semaines, tu t’en fiches, d’autres vont avoir peur de perdre de la business. »

Mais Pierre St-Laurent assure que les marchands ne « perdront pas » les ventes qu’ils font actuellement, car il y aura « une reconnaissance des efforts qu’ils ont faits. » Concrètement, ils auront droit à une part des futurs bénéfices réalisés par le siège social. « C’est la meilleure affaire qu’on peut faire pour eux. […] On protège leurs ventes, on fait les investissements et on prend le risque. »

Que font les autres détaillants ?

Metro a commencé à vendre en ligne en 2016 et mise sur la livraison à domicile. L’épicier dessert actuellement 60 % des Québécois en assemblant toutes les commandes à partir de sept supermarchés transformés en « hub ». Le site de Metro est devenu transactionnel en Ontario ce mardi. Deux magasins sont utilisés comme « hubs », ce qui permet de desservir 1,9 million de foyers, soit 36 % de la population.

Depuis 2014, au Canada anglais, Loblaw mise surtout sur le ramassage en magasin avec son service « Clique & Go », rebaptisé « PC Express » il y a quelques mois. Au Québec, la vente en ligne est arrivée en 2017 (Provigo) et a pris de l’ampleur en 2018 quand Maxi a offert le service. Les clients de l’enseigne à bas prix récupèrent leurs achats dans des casiers à l’avant des magasins. Loblaw a commencé en 2017 à offrir la livraison à domicile en Ontario en partenariat avec Instacart. Au Québec, c’est prévu pour cette année. Walmart mise également sur le ramassage en magasin depuis le lancement au Québec de son service d’épicerie en ligne, à l’automne 2017. Des employés se chargent de déposer les achats dans les coffres des voitures.

Cinq choses à savoir sur Ocado

PHOTO PETER NICHOLLS, ARCHIVES REUTERS

Un entrepôt d’Ocado en Grande-Bretagne

L’origine

Ocado Group est une entreprise britannique de vente au détail et de technologie fondée en 2000. Elle est devenue un important acteur dans la vente d’aliments en ligne en accaparant entre 15 et 20 % des parts du marché anglais, sans posséder de supermarchés. Elle dessert chaque jour 580 000 clients. Elle monétise aussi sa propriété intellectuelle et son système de logistique.

PHOTO FOURNIE PAR OCADO

L’intérêt international

L’entreprise, qui compte 1400 développeurs informatiques et 350 ingénieurs, a réussi à vendre sa technologique aux quatre coins du monde. Ses clients incluent les chaînes de supermarchés Casino (France), Kroger (États-Unis), ICA (Suède) et Coles (Australie). L’entrepôt de Sobeys, en Ontario, sera le premier en Amérique du Nord à entrer en service, au printemps 2020.

PHOTO TIRÉE DE L’INTERNET

Succès en Bourse

Ocado a fait son entrée en Bourse en 2010. Ses actions valent aujourd’hui environ 13,50 livres sterling (environ 24 $ CAN), de sorte que sa capitalisation boursière frôle les 10 milliards de livres (17,5 milliards CAN). Ses revenus ont atteint 1,6 milliard de livres (2,8 milliards CAN) en 2018.

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Plus vite qu’Amazon

Début mai, un rapport d’experts de la firme Peel Hunt a jeté un pavé dans la mare en affirmant que les robots d’Ocado sont trois fois plus vite que ceux d’Amazon. Les auteurs de l’étude ont été « déçus » par la performance des robots d’Amazon après avoir visité son entrepôt le plus innovant d’Europe.

Une heure à Londres

Depuis deux mois, Ocado livre les commandes en seulement une heure dans une partie de Londres. Ce service a été baptisé Ocado Zoom. Le magazine LSA a précisé que le détaillant propose une offre « restreinte » de 10 000 produits aux clients, qu’un site a été créé, que le service coûte 1,99 livre et que la commande minimale est de 15 livres.

Sources : Bloomberg, LSA, Ocado.com, Zonebourse.com, Empire