Après une fin d'année 2018 périlleuse, les marchés boursiers ont rebondi au premier trimestre de 2019. Que nous réserve la suite, alors que l'économie mondiale ralentit dans le brouillard du Brexit et des tensions commerciales avec la Chine ? Tour d'horizon avec les experts du portefeuille fictif de La Presse. Un dossier de Martin Vallières

Un début d'année favorable

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d'analyser la conjoncture pour faire fructifier ou protéger le capital initial de 100 000 $ d'un REER autogéré. Dans ce deuxième rendez-vous en 2019, ils reviennent brièvement sur le premier trimestre. Ils calibrent leur répartition pour lancer le deuxième trimestre de l'année. Leurs recommandations sont fondées sur les indices de référence. Il n'y a ni choix de titres ni possibilité de modifier la répartition en cours de trimestre. Les rendements indiqués sont avant frais de gestion.

Après un quatrième trimestre 2018 déprimant, les marchés d'investissement en actions et en obligations négociables ont fortement rebondi au premier trimestre 2019.

Et ce, malgré les signaux de ralentissement de l'économie mondiale et les tensions commerciales qui perdurent entre les deux superpuissances économiques : les États-Unis et la Chine.

Pour les participants au portefeuille fictif de La Presse, le rebond des cours au premier trimestre s'est avéré très payant pour renflouer les pertes de valeur de la fin de l'année 2018. D'autant plus que ces pertes avaient suffi à faire basculer de positif à négatif le rendement du portefeuille fictif pour toute l'année.

En comparaison, l'année 2019 s'est amorcée de façon beaucoup plus favorable pour le portefeuille fictif. Après seulement trois mois, le rendement moyen s'élève à 7,9 % parmi nos quatre professionnels de l'investissement.

Quel constat faites-vous du premier trimestre de 2019 ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Je n'ai pas été vraiment surpris par le rebond des marchés financiers. Néanmoins, son ampleur était un peu surprenante, surtout dans le marché obligataire. Les actions ont fait 10 % environ [tous marchés confondus], mais les obligations ont fait un bond étonnant de 4 %. Manifestement, le marché obligataire a fortement réagi au changement de message des banques centrales, dont la Fed aux États-Unis. Elles ont reporté leurs prochaines décisions de taux d'intérêt en raison des hésitations de l'économie mondiale, quitte à tolérer un peu d'inflation entre-temps. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« Ce fut un trimestre de surprises positives dans la plupart des marchés, en réaction au virage à 180 degrés de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine [pause prolongée de la hausse de taux]. Mais je constate aussi que ce rebond est survenu en dépit des doutes persistants sur l'évolution de la conjoncture économique mondiale. Par conséquent, je me méfie un peu de la durabilité de ce rebond. D'autant que la divergence de signaux sur la conjoncture économique demeure considérable entre l'optimisme retrouvé en Bourse et le regain de pessimisme dans le marché obligataire. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Après s'être mis en "scénario panique" de fin de cycle lors du dernier trimestre de 2018 - auquel j'ai refusé d'adhérer, d'ailleurs -, les marchés boursiers ont retrouvé un peu leurs esprits. Les investisseurs semblent avoir réalisé que l'économie mondiale est en ralentissement de croissance, plutôt qu'au seuil de la prochaine récession. Cela dit, j'ai été un peu surpris par l'ampleur des réactions dans le marché obligataire [NDLR : bond de prix des obligations et baisse des taux de rendement à long terme] à la mise en pause des décisions de taux d'intérêt parmi les principales banques centrales. Cette réaction s'est d'ailleurs avérée un peu exagérée depuis, ce qui atténue sa valeur d'indicateur de la conjoncture économique à venir. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Les marchés boursiers ont remis les pendules à l'heure en récupérant le terrain perdu à la fin de l'année 2018. Et la Bourse américaine a maintenu son leadership international, en continuité des mouvements haussiers et baissiers de l'an dernier. Par ailleurs, la Bourse canadienne a rebondi avec l'un des meilleurs rendements comparatifs parmi les principaux marchés du monde. Elle a profité d'un regain de faveur avec la remontée du prix du pétrole canadien. Aussi, la croissance de l'économie canadienne, même ralentie, demeure au rendez-vous, notamment au Québec. »

Quelles sont vos perspectives pour la suite ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Les prochains mois s'annoncent favorables en Bourse, avec de nouveaux sommets encore possibles d'ici septembre dans les principaux indices nord-américains. Cela dit, il faut rester aux aguets dans un cycle de croissance économique rendu à un âge avancé. Je m'attends d'ailleurs à un retour des banques centrales vers leur phase de remontée des taux d'intérêt en fin d'année, en suivi de la croissance économique et de l'inflation qui auront continué d'évoluer d'ici là. Dans ce contexte, je serais satisfait d'un rendement de portefeuille autour de 2 % à 2,5 % durant le deuxième trimestre, découlant d'un gain moyen de 5 % dans les actions et d'un recul de 2 % dans les obligations. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« Les marchés boursiers qui ont le plus rebondi au premier trimestre, en Amérique du Nord surtout, sont aussi devenus plus dépendants de la continuité de "bonnes nouvelles" concernant l'économie et les résultats des entreprises. Par conséquent, je suivrai deux éléments en particulier qui pourraient le plus influencer le comportement des marchés au cours des prochains mois.

« D'une part, les résultats d'entreprises au premier trimestre et leurs perspectives devront être à la hauteur des attentes encore élevées parmi les investisseurs.

« D'autre part, les prochaines données économiques en provenance d'Asie seront importantes pour recalibrer les perspectives de l'économie mondiale. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Contrairement aux inquiétudes de "prochaine récession" qui se manifestent périodiquement dans les marchés financiers, je n'entrevois pas encore de risque significatif à cet effet pour les investisseurs durant cette année ni l'an prochain.

« Je m'attends à une continuité de la synchronisation économique mondiale vers une croissance moindre pendant quelques trimestres encore. Mais pourvu qu'il y ait un accord commercial entre la Chine et les États-Unis, que la Chine stabilise sa croissance et que l'Europe reprenne du service dans l'économie mondiale.

« Ensuite, le retour des politiques monétaires et budgétaires expansionnistes dans les principales économies du monde [NDLR : pause prolongée ou baisse des taux d'intérêt, baisses d'impôts ou hausses de dépenses publiques] pourrait contribuer à repousser cette fin de cycle tant redoutée. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« La Réserve fédérale américaine, qui a mis ses prochaines décisions de taux d'intérêt sur les lignes de côté pour les 12 prochains mois, a redonné de la vitalité aux marchés boursiers pour quelques trimestres additionnels.

« Mais avec l'ampleur du rebond au premier trimestre, il est probable que le gros du rendement attendu pour toute l'année 2019 ait déjà été réalisé. Les gains des prochains mois s'annoncent beaucoup plus mitigés.

« Néanmoins, en cas d'entente commerciale entre les États-Unis et la Chine, les marchés boursiers pourraient profiter d'une autre poussée vers les sommets atteints l'an dernier. Mais à cette phase avancée du cycle économique, une telle poussée pourrait engendrer des lendemains plus volatils en Bourse. »

Où en est votre répartition d'actifs ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Après le rebond surprenant du marché obligataire, je préfère réduire de cinq points de pourcentage (de 25 % à 20 %) ma répartition en obligations et rehausser d'autant (de 15 % à 20 %) ma répartition d'encaisse. En contrepartie, je garde inchangées mes répartitions dans les principaux marchés d'actions. De façon à garder le cap vers les gains qui sont anticipés après cette période d'ajustement à une croissance ralentie parmi les principales économies du monde. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« Après quelques trimestres de bonne performance de la Bourse américaine, alors que les autres marchés significatifs étaient en peine, je m'attends à un changement de leadership international au cours des prochains mois. J'anticipe un meilleur potentiel de rendement dans les marchés d'actions en Europe, en Asie et dans les pays de marchés émergents parce que leurs économies sont près d'un creux de conjoncture, et donc d'un éventuel rebond précurseur en Bourse.

« En comparaison, la Bourse américaine continue de profiter d'une conjoncture économique favorable. Mais elle est aussi devenue plus sensible à d'éventuelles "moins bonnes nouvelles" dans l'économie et les résultats d'entreprises.

« Dans ce contexte, je rehausse un peu ma répartition d'actifs dans les marchés internationaux en réduisant ma part d'encaisse. Mais sans modifier pour le moment ma répartition en obligations, en actions américaines et en actions canadiennes. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« La conjoncture économique, même en croissance ralentie, s'annonce favorable pour les marchés boursiers pour quelques trimestres encore. Toutefois, je ne m'attends pas à ce que les principaux indices nord-américains retrouvent leurs sommets de l'an dernier. Si ça se produisait, ce serait une récompense inattendue qui pourrait motiver des prises de profit.

« En contrepartie, je me méfie du potentiel de rendement dans le marché obligataire, qui pourrait être nul sinon négatif après le sursaut considérable du premier trimestre.

« Ainsi, je rehausse un peu ma répartition en actions au deuxième trimestre. Cet ajout est concentré dans les marchés internationaux (Europe, Asie, pays émergents), en réduisant un peu la répartition en actions nord-américaines et en encaisse. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Je considère que les marchés boursiers offrent plus de potentiel aux investisseurs que le marché obligataire, qui a déjà surperformé au premier trimestre. Toutefois, je ne suis pas en mesure de clarifier mes attentes quant au leadership international parmi les principaux marchés boursiers. Par conséquent, je ne modifie pas ma répartition d'actifs (68 % en actions, 22 % en obligations, 10 % d'encaisse). Pour le moment, je ne crois pas que le leadership américain soit terminé en Bourse. J'y vois encore du potentiel en dépit des inquiétudes - prématurées à mon avis - envers l'imminence de la « prochaine récession ».