Earl Jones était visiblement nerveux. Dès son entrée au tribunal, il avait le regard fuyant, le souffle court, les mains tremblantes. Les quelques mots qu'il a prononcé, à deux reprises, étaient à peine audibles, étranglés par l'émotion. Dans le box des accusés, il sanglotait.

Des remords, Earl Jones? Ses victimes en doutent, mais c'est ce qu'a plaidé son avocat, Jeffrey Boro, pour minimiser la peine d'emprisonnement qui attend l'ex-conseiller financier.

Hier matin, Bertram Earl Jones a plaidé coupable d'une fraude perpétrée entre les années 1982 et 2009. De façon «conservatrice», les enquêteurs de la Sûreté du Québec ont estimé le montant de la fraude à 50,3 millions de dollars, visant 158 victimes. La poursuite et la défense se sont entendues pour demander 11 ans de prison, après comparaison avec Vincent Lacroix (13 ans).

Le procureur de la couronne, Pierre Lévesque, a raconté ce qui est passablement connu. Pendant 27 ans, Earl Jones a trompé ses clients, souvent des successions familiales, en leur promettant des rendements d'intérêts purement fictifs.

Certes, plusieurs des victimes ont reçu des versements au fil des ans, mais ils croyaient qu'il s'agissait de paiements d'intérêts. En réalité, Earl Jones puisait à même leur capital et celui des autres pour les payer et pour mener son train vie. «Il n'a pas investi un sou», a expliqué Me Lévesque.



13,6 millions de dépenses personnelles


Entre 1987 et 2009, Earl Jones se serait indûment approprié de 13,6 millions pour ses fins personnelles, a dit Me Lévesque. L'estimation vient du syndic de faillite RSM Richter. L'argent a servi tant à l'achat de ses condos et de ses voitures qu'à financer ses voyages ou à payer le mariage de ses enfants.

Aujourd'hui, Earl Jones vit seul dans un logement de la Rive-Sud, sans argent, et il est marqué par les reportages des médias, a dit son avocat Jeffrey Boro. L'homme de 67 ans aurait même été suivi par un détective privée «embauché par des journalistes ou des victimes», soutient Me Boro. Sa femme, Maxine Jones, vit grâce à l'aide de ses enfants.

Parmi les autres facteurs atténuants, Me Boro mentionne la collaboration de M. Jones à l'enquête dès son arrestation, en juillet 2009. Earl Jones est sincèrement désolé, soutient Me Boro, bien que ces sentiments ne changent rien à la situation. «Il a de vrais remords».

Pour sa part, Me Lévesque parle du nombre important de victimes, du montant de la fraude et de sa durée comme facteurs aggravants. La juge Hélène Morin dira le 15 février si elle accepte la sentence proposée de 11 ans de prison.

Earl Jones a lancé son entreprise d'administration de successions en 1979. Durant les premières années, ses affaires auraient étaient menées légitimement, mais la situation économique difficile de 1982 l'a incité à prendre de l'argent à ses clients, a dit Me Boro.

«Il a toujours eu l'intention de remettre l'argent, mais les choses ont sans cesse empiré», affirme-t-il. Jeffrey Boro n'a cependant pas expliqué pourquoi, malgré cet effet boule de neige, Earl Jones s'est senti libre de mener une vie de luxe.

Insuffisant, disent les victimes

Les deux parties se sont entendues pour demander 11 ans d'emprisonnement après de longues négociations. Normalement, Earl Jones devrait être admissible à une libération conditionnelle au sixième de sa peine, soit après un an et 10 mois.

Les victimes sont satisfaites de ce verdict rapide, mais aurait souhaité la sentence maximale de 14 ans. «Je ne crois pas qu'il souffre comme son avocat le dit. Je ne pense pas qu'il a de quelconques remords. Il est comme un ado qui se fait attraper à voler l'argent de ses parents», dit Robert Tétrault, dont la belle-mère a perdu près de deux millions.

Une autre victime, Kevin Curran, estime qu'une telle sentence est insuffisante. Il aurait imposé la peine maximale, question d'envoyer un message clair aux criminels en cravate. La fraude équivaut à 477 000$ par victime, soit la plus importante au Canada, soutient M. Curran.

«Le Canada est le 4e pays le plus frauduleux. À chaque fois qu'un tel événement survient, ça renforce la perception que le Canada est un paradis pour les criminels en cravate», dit-il.

Les accusations ont été séparées en deux blocs, soit entre 1982 et 2004 (21,6 millions de fraude) et entre 2004 et 2009 (29,7 millions). Cette distinction s'explique par le fait qu'avant 2004, la peine maximale pour un tel crime était de 10 ans, alors qu'elle est passée à 14 ans après 2004.

«Je ne crois pas qu'il est capable de remords ou de quelconques émotions. Il a un profil d'un inadapté social», dit Joey Davis, porte-parole du comité des victimes.

- Avec la collaboration de Christiane Desjardins

La lettre d'excuse d'Earl Jones

Aux clients, amis et famille

Je ne connais pas de mots pour exprimer sincèrement à chacun de vous à quel point je suis désolé et le serai toujours pour les épreuves et la souffrance que j'ai causées. J'ai trahi la confiance et la foi que vous aviez en moi, laissant des situations financières sévères pour vous, incluant mes amis, mes proches et ma famille. J'ai ruiné vos vies, de même que celle de ma famille et de moi-même et je vais vivre toujours avec cette terrible tragédie.