On pensait que les premiers humains à avoir foulé le sol américain étaient passés juste à l’est des Rocheuses quand un passage s’est ouvert entre les glaciers, il y a 15 000 ans. Mais la découverte de traces de pas remontant à plus de 20 000 ans au Nouveau-Mexique chambarde cet historique.

Le gypse

Le parc national de White Sands, au Nouveau-Mexique, est célèbre pour son sable blanc. Il s’agit d’une fine poussière de gypse qui donne à la région une caractéristique très intéressante pour les paléontologues : les traces de pas laissées il y a des milliers, voire des dizaines de milliers d’années par les premiers habitants de la région sont préservées comme s’ils avaient marché dans du béton frais.

« Il y avait alors des lacs avec des rives de glaise », explique Kathleen Springer, géologue à l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), qui est l’auteure principale d’une étude publiée à ce sujet début octobre dans la revue Science.

Les traces de pas ont été préservées dans la glaise et rapidement recouvertes de poussière de gypse transportée par le vent.

Kathleen Springer, géologue à l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS)

Découvertes en 2018, les traces de pas qui font l’objet de l’étude ont été retrouvées à différentes profondeurs allant jusqu’à un mètre. « On avait d’abord identifié des traces de pas d’humains et d’animaux en surface, dit Mme Springer. Il s’agissait de chasseurs qui traquaient un tigre et d’une femme portant un enfant qui était suivie par un autre tigre. Nous avons fait des analyses radar souterraines pour découvrir d’autres traces de pieds. Ce sont ces traces de pieds enfouies qui ont une datation entre 21 000 et 23 000 ans. »

Cabotage

Quand Christian Gates St-Pierre, archéologue à l’Université de Montréal, a entendu parler de ces traces de pas d’il y a plus de 20 000 ans lors d’une première publication en 2021, il était sceptique. « Pendant longtemps, le consensus était que les plus anciennes traces humaines en Amérique remontaient à 14 000, 15 000 ans. Il a commencé à y avoir des sites plus vieux, mais leur datation ne faisait pas l’unanimité. Je pense qu’avec cette nouvelle étude, on peut considérer que ces traces de pas au Nouveau-Mexique sont bel et bien plus vieilles que 20 000 ans. » Il y a maintenant près d’une centaine de sites humains en Amérique dont la datation est antérieure à 20 000 ans, selon lui.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Christian Gates St-Pierre

Cela change complètement les hypothèses du chemin qu’ont parcouru les premiers humains pour arriver en Amérique. « Il y a 20 000 ans, il y avait des glaciers de l’Atlantique au Pacifique », dit M. Gates St-Pierre, spécialiste des premiers peuplements du Québec.

Un passage s’est ouvert il y a 15 000 ans à l’est des Rocheuses, et on pensait que c’était par là que les premiers humains étaient passés, en provenance de l’Asie. Mais s’il y avait des humains au Nouveau-Mexique il y a plus de 20 000 ans, il a fallu qu’ils arrivent par cabotage le long de la côte de la Colombie-Britannique, en s’arrêtant dans des îles et des baies laissées libres par les glaciers.

Christian Gates St-Pierre

En février, des collègues de Mme Springer ont publié, dans la revue PNAS, une modélisation indiquant qu’une fenêtre de 2500 ans, à partir d’il y a 24 500 ans, était la plus probable pour une telle épopée.

Les traces humaines d’il y a 15 000 ans sont incidemment nommées « culture Clovis », du nom d’un village du Nouveau-Mexique, situé à quatre heures au nord du parc de White Sands, où ont été mises au jour dans les années 1930 des pointes de flèches caractéristiques des peuples d’alors.

Trois datations

Les travaux de Mme Springer et son équipe ont été interrompus par la pandémie. « Nous avons donc publié une première datation avec une seule méthode en 2021. » L’étude du début d’octobre présente les résultats de trois autres méthodes de datation, qui donnent toutes des résultats entre 21 000 et 23 000 ans.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’USGS

Kathleen Springer et Jeff Pigati recueillent du pollen pour datation.

« Nous avons aussi fait six vérifications connexes », dit Jeff Pigati, de l’USGS, lui aussi coauteur. « Par exemple, nous avons vérifié que les âges sont constants à différentes profondeurs, que le type de pollen détecté, de différents conifères maintenant présents en altitude, indique une température plus fraîche. » Peu de sites ont eu des recherches aussi poussées sur le plan de la datation, selon M. Gates St-Pierre.

Le critique

Un paléontologue de l’Université d’État de l’Oregon qui avait critiqué l’étude de 2021 doute des nouvelles données. « L’une des techniques de datation supplémentaire est faite sur une carotte prélevée à deux mètres des traces de pas », observe Loren Davis, qui a lui-même publié plusieurs études sur des sites remontant jusqu’à 15 000 ans. « Et je ne suis pas convaincu que les sédiments au niveau des traces de pas souterraines n’ont pas été contaminés par du matériel plus ancien. » Mme Springer estime que M. Davis n’a pas bien saisi la méthodologie utilisée.

Et au Québec ?

L’arrivée plus ancienne des premiers humains en Amérique, et par une voie côtière plutôt qu’à l’est des Rocheuses, ne change pas grand-chose pour le Québec. « Le plus ancien site humain au Québec date de 12 000 à 12 500 ans, à Mégantic, dit M. Gates St-Pierre. Avant, il y avait [sur le Québec] le glacier laurentien, qui à son maximum descendait jusqu’à Manhattan. »

L’Amazonie

PHOTO TIRÉE DU SITE DE SCIENCE

Des traces de villages précolombiens en Amazonie brésilienne, dévoilées à partir de données lidar, un type de radar aérien.

Dans le même numéro de Science, un aréopage de 230 paléontologues du Vieux Continent et du Nouveau Monde ont annoncé que l’Amazonie recelait entre 10 000 et 24 000 villes et villages précolombiens remontant potentiellement à 12 000 ans. Cette conclusion, à partir de données lidar, un type de radar aérien, montre que l’histoire de l’Amérique du Sud est très mal connue. Jusqu’à maintenant, seules 24 villes précolombiennes amazoniennes ont été dévoilées grâce au lidar. Les plus célèbres sont celles de la civilisation casarabe, dans le nord de la Bolivie, qui contrôlait 4500 km⁠2, et ont été mises au jour par lidar en 2022.

« Ça montre que l’Amazonie a sans doute été occupée plus intensivement qu’on le croyait dans le passé par les populations autochtones », dit M. Gates St-Pierre.

Regardez Une simulation de l’évolution des glaciers de l’ère de glace en Amérique du Nord (en anglais)

Entre -500 av. J.-C. et 1000 

Premières traces archéologiques iroquoiennes au Québec, en Ontario et dans le nord de l’État de New York