(Washington) Plusieurs études ont montré que les quartiers pauvres ont une moins bonne qualité d’air. Comment remédier à la situation sans faire de l’« éco-embourgeoisement », ce qui cause un impact négatif sur les populations locales sur le plan du logement, du transport et de l’emploi ? La question a été abordée au plus récent congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), début mars à Washington.

Le vert en vogue

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ D’ÉTAT DE L'ARIZONA

Ji Eun Kim et sa famille au congrès annuel de l’AAAS à Washington. Mme Kim a remporté le premier prix de la compétition étudiante.

Les chiffres sont clairs : la densité des espaces verts à Chicago permettait de mieux prédire la valeur des maisons environnantes en 2010 qu’en 1990. Pour arriver à cette conclusion, Ji Eun Kim, de l’Université d’État de l’Arizona, a analysé en détail la valeur des maisons de la métropole du Midwest entre 1990 et 2010, ainsi que l’évolution des espaces verts sur des images satellites. « Il y a eu beaucoup d’études sur l’éco-embourgeoisement [ecogentrification], mais il s’agissait d’analyses sur un quartier en particulier, généralement après un épisode d’embourgeoisement [gentrification] », dit Mme Kim, dont la présentation à l’AAAS a remporté le premier prix de la compétition étudiante.

Nous voulions voir ce qui se passe à l’échelle d’une ville pendant deux décennies. Il semble que les ménages aisés valorisent plus qu’auparavant les espaces verts. Dans les années 1990, l’aménagement d’un espace vert accélérait moins l’embourgeoisement.

Ji Eun Kim, de l’Université d’État de l’Arizona

Terrains vagues et arbres

IMAGE TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Le parc de la High Line à New York est souvent cité comme exemple d’éco-embourgeoisement.

L’étude de Mme Kim, dont une version partielle a été publiée l’an dernier dans la revue Urban Forestry & Urban Greening, permettait aussi de distinguer les parcs des autres espaces verts. « Les espaces verts informels ont un impact beaucoup plus variable sur l’embourgeoisement, dit Mme Kim. Dans certains cas, ils sont un signe de négligence, comme les terrains vagues et les maisons mal entretenues entourées d’herbes folles.

Dans d’autres, ils font partie de la beauté d’un quartier, comme des terrains bien entretenus, des arbres sur le domaine public. Certains chercheurs ont proposé, pour contrer l’éco-embourgeoisement, qu’une municipalité réserve des terrains pour le logement social avant de procéder à des aménagements verts – par exemple, un nouveau parc ou une promenade riveraine. Mais ça alourdit le processus.

Il se pourrait que certains espaces verts informels, comme les arbres dans les rues et des terre-pleins verts plutôt qu’en béton, aient moins d’impact sur l’embourgeoisement. Si ça se confirme, ça serait une manière de verdir les quartiers pauvres sans augmenter les loyers et les prix des maisons. » Dans le cadre de son doctorat sur la justice environnementale, Mme Kim examine en particulier la question des arbres en bordure de rue.

Complexité

L’étude de Mme Kim sera incluse dans un livre sur la justice environnementale et l’éco-embourgeoisement qui sera publié en 2024. « Jusqu’à maintenant, les études sur l’éco-embourgeoisement ont été trop locales pour qu’on tire des conclusions générales pour aider les autorités à mieux planifier les investissements en espaces verts », explique Heather Campbell, de l’Université d’études supérieures Claremont à Los Angeles, qui est l’une des coauteures du livre.

« Nous voulons utiliser une approche reflétant la complexité des choix individuels. C’est la même approche qui est utilisée pour étudier les bouchons de circulation causés par des décisions en apparence anodines. Un conducteur qui ralentit peut causer un arrêt complet de la circulation quelques kilomètres derrière lui. »

Juste assez vert

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE LA VILLE DE NEW YORK

La promenade nature du parc riverain de Newton Creek à Brooklyn

L’une des approches proposées ces dernières années pour contrer l’éco-embourgeoisement est le mouvement « juste assez vert » (just green enough). « C’est l’idée qu’on peut nettoyer les sites industriels désaffectés et les terrains vagues sans les transformer en endroits désirables au point d’attirer des commerces visant des clientèles fortunées, dit Mme Kim. Le concept a été utilisé pour la promenade fluviale Newton Creek à Brooklyn. Elle a été spécifiquement pensée pour ne pas attirer les investissements immobiliers associés à l’embourgeoisement. »

Agriculture urbaine

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Selon une étude publiée en 2020, les jardins communautaires peuvent favoriser l’éco-embourgeoisement quand ils sont utilisés à des fins de loisirs plutôt que dans un objectif d’autosubsistance alimentaire.

La maîtrise de Mme Kim portait sur l’agriculture urbaine. « Certains auteurs ont avancé que l’agriculture urbaine peut mener à l’éco-embourgeoisement quand on traite cette activité comme un passe-temps plutôt que comme un objectif de réduction de notre empreinte carbone. » Mme Kim a envoyé à La Presse une étude publiée en 2020 dans la revue Agriculture and Human Values par des chercheurs américains, qui comparait deux jardins communautaires à New York. Celui d’Astoria était associé à l’embourgeoisement parce qu’il privilégiait l’esthétique, avec notamment une résistance aux structures temporaires nécessaires pour l’agriculture hivernale et le réemploi de matériaux de construction pour construire des cabanes, et un accent sur les activités pour les enfants. Celui d’East New York, situé dans un quartier moins touché par l’embourgeoisement, visait la maximisation de la production agricole.

Pistes cyclables

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La clientèle du vélopartage serait plus blanche et plus aisée que la moyenne.

Le vélo est au cœur de l’un des débats sur l’éco-embourgeoisement, ainsi que le vélopartage. Les statistiques montrent que les riches utilisent moins le vélo que les pauvres pour se déplacer, mais plusieurs essais ont au fil des ans dénoncé la création de pistes cyclables traversant des quartiers pauvres pour permettre aux gens des banlieues aisées de se rendre au centre-ville, note Mme Campbell.

« C’est aussi un débat où il manque de données systématiques, dit-elle. Je viens tout juste de corriger un travail étudiant sur le vélopartage qui fait une revue de la littérature. Il semble en effet que la clientèle du vélopartage soit plus blanche et plus aisée que la moyenne. Mais cela semble être dû au fait que les demandes sociales de création et d’expansion des réseaux de vélopartage sont faites par des personnes plus aisées. Si les réseaux de vélopartage sont étendus aux quartiers pauvres, leurs habitants en profitent tout autant que les riches. »

À Montréal aussi

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le campus MIL de l’Université de Montréal et ses jardins urbains

L’éco-embourgeoisement a aussi fait débat à Montréal, plus particulièrement avec la réhabilitation des rives du canal de Lachine. D’autres exemples d’éco-embourgeoisement au Québec incluent Parc-Extension, avec les jardins urbains du campus MIL, la revitalisation des berges de la rivière Saint-Charles, à Québec, et une ruelle située entre les rues Sainte-Émilie et Saint-Ambroise, dans Saint-Henri.

En savoir plus
  • 1495
    Nombre de parcs à Montréal
    Source : ville de Montréal
    1010
    Nombre de parcs à Montréal ayant des structures de jeux
    Source : ville de Montréal