La plus grosse fusée jamais conçue a explosé jeudi lors de son premier test orbital. Mais SpaceX estime que les quatre minutes de vol de Starship avant son « désassemblage rapide non planifié » constituent un « succès ». Trois experts expliquent pourquoi.

Q : Comment une explosion peut-elle être considérée comme un succès ?

« La stratégie de SpaceX est de faire un test, d’en tirer des leçons, puis de faire un autre test », explique Jennifer Heldmann, une ingénieure de la NASA qui a publié en 2021 un rapport sur l’impact important qu’aura Starship sur la science de l’espace. « Les quatre minutes de vol dépassent les attentes. Les gens de SpaceX vont avoir beaucoup de données pour régler des problèmes avec Starship. » Mercredi soir sur Twitter, SpaceX avait d’ailleurs affirmé qu’« une annulation du lancement, un lancement réussi, un désassemblage rapide non planifié ou une combinaison de ces trois éléments ser[aient] de toute façon excitants ». Jeudi, l’entreprise fondée par Elon Musk avait déclaré que le test aiderait « à améliorer la fiabilité de Starship et à disséminer la vie sur plusieurs planètes ». John Logsdon, politologue spécialiste de l’espace à l’Université de Georgetown, à Washington, ajoute que l’étape qui semble avoir posé problème, la séparation des premier et deuxième étages de Starship, devrait être plus facile à régler que s’il y avait eu un problème grave avec la mise en réseau des 33 moteurs Raptor du premier étage. « Le premier étage a fonctionné pendant trois minutes, comme prévu », dit M. Logsdon. SpaceX a indiqué que certains des 33 moteurs avaient eu des problèmes, mais cela ne serait pas lié au problème de la séparation des deux étages.

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L’explosion du lanceur Starship, de l’entreprise SpaceX, s’est produite après quatre minutes de vol.

Q : Pourquoi dit-on que Starship va révolutionner l’accès à l’espace ?

« On pourrait réduire de 10 à 100 fois les coûts par kilogramme d’envoi des satellites », dit Casey Handmer, un physicien australien qui tient un blogue sur l’espace. « Falcon 9 a déjà eu un impact sur l’industrie spatiale en divisant les coûts par trois ou quatre. » Mme Heldmann est dithyrambique : « Si Starship tient ses promesses, nous allons connaître un âge d’or de l’astronomie spatiale, nous allons pouvoir aller explorer le système solaire extérieur où des lunes océaniques pourraient abriter la vie, et nous allons vraiment pouvoir coloniser Mars. »

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L’ingénieure de la NASA Jennifer Heldmann

Q : Quel sera l’impact financier de l’explosion de jeudi ?

« Les deux étages ne devaient pas être récupérés, comme ils le seront quand Starship sera opérationnel, dit M. Logsdon. Alors à mon avis le coût additionnel est négligeable. À moins évidemment qu’il y ait finalement un gros problème à régler qui ralentisse le programme. »

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Le politologue spécialiste de l’espace à l’Université de Georgetown, à Washington, John Logsdon

Q : Starship sera-t-elle aussi économique que promis ? Après tout, la navette spatiale devait aussi réduire de 10 fois les coûts de lancement.

« La méthode d’amélioration continue de SpaceX a une longue feuille de route, dit M. Handmer. Les dernières versions de Falcon 9 ont une capacité 2,5 fois supérieure à celle de la première fusée de 2010. » L’un des principaux problèmes de la navette spatiale est qu’il fallait beaucoup de travail pour la remettre en état de faire un nouveau vol. « Prenez les tuiles du bouclier thermique. La navette en avait 10 000, toutes avec des formes différentes. Starship a moins de tuiles et elles ont presque toutes la même forme. Alors le travail est plus efficace. En plus, les tuiles de Starship sont beaucoup moins lourdes que celles de la navette. »

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Le physicien Casey Handmer

Q : Starship sera-t-elle prête pour servir d’alunisseur pour la mission Artemis III de la NASA en 2025 ?

M. Logsdon en doute, mais M. Handmer et Mme Heldmann accordent encore le bénéfice du doute à SpaceX. « La NASA vient de rendre public le plan de la mission », dit Mme Heldmann. Les astronautes d’Artemis III se rendront jusqu’à la Lune à bord de la capsule Orion, qui vient de faire un vol lunaire non habité. Ensuite, ils seront transférés à bord d’une version habitable de Starship, qui alunira. À la fin du séjour sur la Lune, Starship ramènera les astronautes jusqu’à Orion pour le retour sur Terre.

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Le lanceur Starship au moment de sa perte de contrôle, survenue lorsque le second étage ne s’est pas détaché du premier. Quelques instants plus tard, la fusée explosait.

Q : Si la version habitable de Starship fonctionne, pourquoi construire la station orbitale lunaire Gateway ?

La question mérite d’être posée, selon les trois experts. Normalement, quand Gateway sera opérationnelle (avec un bras robotique canadien), Orion et Starship s’y arrimeront. Dans chaque mission, un astronaute restera sur Gateway et les autres se rendront sur la Lune. « Pourquoi le membre de l’équipage qui ne va pas sur la Lune ne resterait-il pas à bord d’Orion ? », demande M. Logsdon. M. Handmer va plus loin : « On pourrait transporter Orion dans la soute à fret de Starship. Je crois que si la version habitable de Starship fait ses preuves, Orion pourrait connaître une retraite anticipée. »

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Le lanceur Starship, quelques secondes après la mise à feu de son propulseur Super lourd (Super Heavy rocket), alors que la fusée quitte la rampe de lancement Boca Chica, propriété de SpaceX, près de Brownsville, au Texas.

En savoir plus
  • 60 000 $ US/kg
    Coût d’un lancement de satellite avec la navette spatiale américaine
    Source : NBC
    2500 $ US/kg
    Coût d’un lancement de satellite avec Falcon 9
    Source : NBC