Des analyses en laboratoire ont récemment révélé que des protections menstruelles « biologiques » de la marque Thinx contiendraient des composés toxiques. La controverse a levé le voile sur la variété de particules potentiellement nocives dans les produits d’hygiène féminine. Et surtout, sur le manque de données décrivant les effets de ces particules.

« La population est généralement préoccupée par les substances chimiques que l’on retrouve dans la nourriture, ou encore dans le maquillage », remarque Alexandra Scranton, directrice de la science et de la recherche pour l’organisme américain Women’s Voices for the Earth (WVE). « Mais lorsque nous parlons aux gens des substances dans les produits menstruels, auxquelles une partie sensible du corps féminin est exposée, on nous répond : “Oh, je n’y avais pas pensé.” »

Alexandra Scranton s’intéresse depuis plusieurs années aux recherches publiées à travers le monde sur les protections menstruelles : tampons, serviettes hygiéniques, coupes menstruelles, etc. Les recherches existantes… mais aussi toutes celles encore manquantes.

Je crois qu’il y a une sorte d’aveuglement dans la société provenant de la stigmatisation menstruelle. On ne veut pas en parler collectivement, et donc peu de recherches sont faites sur le sujet.

Alexandra Scranton, directrice de la science et de la recherche pour Women’s Voices for the Earth

Pesticides, dioxines, parabènes… Un lot de substances retrouvées dans ces produits font l’objet de préoccupations au sein de la communauté scientifique pour leurs effets peu connus sur la santé.

Même les produits d’apparence sûrs n’y échappent pas. La société Thinx, qui se targue de proposer des produits réutilisables « biologiques » et « non toxiques », a récemment réglé une action collective qui lui coûtera jusqu’à 5 millions de dollars.

La poursuite concernait les culottes menstruelles vendues par l’entreprise, des sous-vêtements lavables destinés à absorber le flux sanguin. Des analyses en laboratoire ont révélé dans ces produits des quantités importantes de PFAS. Ces composés organiques pratiquement indestructibles s’accumulent dans le corps et l’environnement, d’où leur surnom de « polluants éternels ».

Des polluants omniprésents

Les PFAS (ou composés perfluorés) sont utilisés dans une vaste gamme de produits commerciaux, de la poêle antiadhésive à la corde de guitare, en passant par le gazon synthétique et l’emballage alimentaire.

Ces composés sont notamment prisés pour leurs propriétés imperméabilisantes. D’où l’intérêt de telles molécules dans la fabrication de protections menstruelles.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Des PFAS (ou composés perfluorés) sont utilisés dans la fabrication de protections menstruelles.

Alexandra Scranton a scruté les brevets de quelques-uns des plus grands fabricants mondiaux de ces produits d’hygiène : P&G, Kimberly-Clark, Unicharm Corp., Thinx… Chacun a fait breveter, au cours des 20 dernières années, une technologie qui mentionne des PFAS pouvant être utilisés pour la conception de protections menstruelles.

« Rien n’indique que les entreprises utilisent ces brevets, mais elles ont toutes jugé à un certain point que cette technologie serait une bonne idée », remarque la scientifique, qui est détentrice d’une maîtrise en sciences environnementales de l’Université du Montana.

Bien que les effets des polluants éternels ne soient pas encore bien décrits, plusieurs études ont associé l’accumulation de ces substances dans le corps à des problèmes comme la diminution de réponses immunitaires, le dérèglement d’hormones et l’apparition de certains cancers.

« Les entreprises semblent se concentrer davantage sur l’efficacité et la performance de leurs produits que sur les effets sur le corps humain », déplore Alexandra Scranton.

À la recherche des recherches

En début de 2021, le Conseil du statut de la femme du Québec (CSF) a analysé la littérature scientifique sur les substances chimiques dans les protections menstruelles pour son rapport Faciliter l’accès aux produits menstruels.

« Aucune étude ne semble avoir été menée en Occident sur les effets potentiels des serviettes et des culottes menstruelles réutilisables sur la santé des femmes », note le rapport. La coupe menstruelle n’est quant à elle associée, avec les données actuelles, qu’à des risques minimes pour la santé, selon une méta-analyse citée par le document.

Pour ce qui est des produits jetables, les recherches répertoriées par le Conseil font état d’un large éventail de substances potentiellement nocives détectées, mais principalement dans des quantités qui ne présenteraient pas de danger.

« Par contre, les études se concentrent généralement sur quelques substances précises, souligne Mélanie Julien, directrice de la recherche et de l’analyse au CSF. Elles ne tiennent pas compte de l’effet cumulatif de l’exposition quotidienne des femmes à ces substances. »

Dans un courriel à La Presse, Santé Canada affirme surveiller « continuellement la sécurité des produits de santé présents sur le marché, y compris les tampons et serviettes hygiéniques, en se servant de renseignements provenant de diverses sources, notamment les données sur les effets indésirables, les ouvrages scientifiques et médicaux et les données des autorités réglementaires d’autres pays ».

Changer les règles

Marianthi-Anna Kioumourtzoglou, professeure à l’École de santé publique Mailman de l’Université Columbia, à New York, étudie depuis plusieurs années les molécules toxiques dans les protections menstruelles.

Ce qui est d’autant plus préoccupant, explique-t-elle, c’est qu’on parle ici de produits que les femmes placent sur une région très perméable de leur corps et qui peuvent mener, via le canal vaginal, à de hautes concentrations de contaminants dans le sang.

Marianthi-Anna Kioumourtzoglou, professeure à l’École de santé publique Mailman de l’Université Columbia

L’efficacité de l’absorption vaginale a notamment été démontrée par une étude publiée en 2019 dans la revue The Lancet. L’administration d’un médicament par la voie vaginale peut mener à une concentration moyenne maximale deux fois plus élevée dans le plasma sanguin que par la voie orale, rapportent les auteurs.

Dans le cas des produits menstruels, les composés toxiques ne sont pas nécessairement incorporés intentionnellement par les entreprises, remarque Marianthi-Anna Kioumourtzoglou. « On peut penser, par exemple, au coton dans certains de ces produits, illustre-t-elle. Le champ de coton peut être à proximité d’une usine qui émet des métaux lourds absorbés par les plantes par l’air ou les racines. »

« Le but n’est pas de faire paniquer la population, ajoute la chercheuse. Mais il faut tester tous ces produits, il faut davantage de données, davantage de recherches, et il faut certainement plus de financement pour ces recherches. Disons que pour l’instant, ça ne semble pas être la priorité des dirigeants. »

Quelques risques pour la santé associés aux produits de beauté et d’hygiène

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le vernis à ongles peut contenir des perturbateurs endocriniens.

Produits capillaires

Une soixantaine de poursuites ont été récemment déposées contre des fabricants de produits de lissage de cheveux, dont le groupe L’Oréal, en raison de problèmes de santé associés à leurs produits. En octobre dernier, une étude des National Institutes of Health aux États-Unis a révélé que les utilisatrices de ces produits avaient un risque 2,5 fois plus élevé de développer un cancer de l’utérus.

Nanoargent

Des nanoparticules à base d’argent, aussi appelées nanoargents, sont ajoutées lors de la production de certaines protections menstruelles. Les fabricants disent s’en servir pour leurs propriétés antibactériennes permettant de diminuer les mauvaises odeurs. « Ces particules sont exposées au microbiome vaginal, qui est extrêmement important, explique Alexandra Scranton. Perturber ce microbiome représente un risque non nécessaire pour la santé. »

Perturbateurs endocriniens

Une panoplie de perturbateurs endocriniens se trouvent à l’intérieur de parfums, de vernis à ongles et de crèmes de jour, entre autres. Ces substances peuvent nuire au bon fonctionnement du système hormonal et sont notamment associées, chez les animaux, à des problèmes de reproduction et à la diminution des défenses immunitaires. Leurs effets sur l’humain restent toutefois à éclaircir.