Oubliez les espaces verts, la collecte du recyclage ou les bornes électriques. Le plus gros projet d’infrastructure verte de Montréal consiste à mieux traiter et brûler le contenu de vos toilettes (et le reste des eaux usées de la métropole). Au programme : une usine d’ozonation et le remplacement des quatre gigantesques incinérateurs du site, pour une facture prévue de 1,4 milliard. Et si le passé est garant de l’avenir, la facture n’a pas fini de gonfler.

Dans le bâtiment de combustion de l’usine d’épuration Jean-R.-Marcotte, à Rivière-des-Prairies, mi-février, une odeur de caoutchouc brûlé attaque soudainement les narines. L’air se voile d’une subtile fumée blanche.

Comme si les vieux incinérateurs avaient voulu convaincre que l’heure de leur retraite avait sonné, l’un d’eux surchauffe et tombe en panne en plein pendant la visite organisée pour La Presse. Évènement « rarissime », tempère la Ville.

C’est pour s’attaquer à ces avaries – et réduire son empreinte écologique – que la Ville a planifié le changement complet des quatre immenses incinérateurs de son usine d’épuration dans les prochaines années. Ce sont eux qui brûlent en continu toute la matière solide récupérée dans les eaux usées de la métropole. Ils ont dépassé depuis plusieurs années leur espérance de vie.

Le système de combustion actuel, « c’est le plus grand producteur de gaz à effet de serre à Montréal », explique Maja Vodanovic, responsable du dossier de l’eau au comité exécutif de Valérie Plante.

La Ville espère trouver un système beaucoup moins polluant. Première estimation : 682 millions.

Et ce mégaprojet débute sans que le précédent soit terminé : la plus grosse usine de désinfection à l’ozone sur la planète est en construction sur le site, afin de réduire la contamination de l’eau rejetée. Facture estimée : 717 millions, en hausse constante depuis 15 ans.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Vue aérienne de la construction de l’usine d’ozonation jouxtant la station d’épuration Jean-R.-Marcotte, à Rivière-des-Prairies

Au total, 1,4 milliard d’investissement prévu d’ici 2032.

« On n’a pas le choix de s’occuper de ces sources de pollution que nous, comme êtres humains, on produit. On n’a pas le choix », a justifié Mme Vodanovic. « Le choix de ne rien faire est beaucoup plus coûteux que de faire quelque chose. »

« On a des obligations à rencontrer »

La pharaonique station d’épuration des eaux usées de Montréal a été inaugurée par phases, à partir de 1984. Quarante ans plus tard, elle demeure l’une des trois plus grandes sur la planète. « On traite l’équivalent de la rivière L’Assomption en termes de débit, a rappelé Mme Vodanovic. Avant, dans les années 1980, les égouts de la Ville de Montréal allaient directement dans le fleuve. »

Sur place, les lieux ressemblent à un grand campus, avec des bâtiments industriels à la place des pavillons d’une université.

En souterrain, d’immenses conduites permettent à l’eau de progresser, d’étape en étape. Des grues surplombent l’immense chantier de l’unité d’ozonation, mené par l’entreprise Pomerleau.

Car même si l’usine est loin d’être centenaire, sa performance ne répond plus aux normes. « On a des obligations à rencontrer », a expliqué Mme Vodanovic. D’où le projet de l’ozonation, qui consiste à injecter une grande quantité de ce gaz dans l’eau qu’on s’apprête à rejeter dans le fleuve. L’ozone détruit « 99,9 % des bactéries, 99 % des virus et environ 80 % des particules émergentes », assure l’élue.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Même si l’usine est loin d’être centenaire, sa performance ne répond plus aux normes.

Dans un bâtiment de l’usine d’épuration, on se préparait au cours des dernières semaines à inaugurer une unité d’ozonation… en modèle réduit. Des tests pourront être effectués sur ce système, plusieurs dizaines de fois plus petit que le système à construire.

Ce dernier se fait attendre et la date d’inauguration est constamment repoussée : 2013, 2016, 2023 et maintenant 2025. La facture, estimée à moins de 200 millions au lancement du projet, augmente au même rythme, pour maintenant dépasser les 700 millions.

« Je suis sûr et certain que ça va continuer à augmenter », a affirmé le chef de l’opposition à l’hôtel de ville, Aref Salem. « La capacité de payer des Montréalais a une limite. Si tu as une maison à rénover et que tu as un budget, à un moment donné, tu ne peux pas dépasser ce budget, personne ne va te donner de l’argent. »

Faire de ce projet le symbole des dépassements de coûts à la Ville, « je ne trouve pas que c’est une analyse honnête », a répliqué Mme Vodanovic. L’estimation de 200 millions était extrêmement préliminaire et ne prenait pas en compte la réalité du marché, assure-t-elle.

Les incinérateurs, « ça va coûter cher »

Alors que l’usine d’ozonation défraie la chronique depuis des années, le remplacement des incinérateurs est arrivé à l’ordre du jour plus récemment. Mais quiconque jette un coup d’œil à ces immenses fournaises de métal recouvertes par endroits de petites et grandes plaques d’acier pour boucher les fuites réalise qu’elles ont fait leur temps.

Ça va coûter cher, mais ce qu’on va faire avec, ça va être différent des incinérateurs [actuels]. Les projets qui sont en cours, [selon] les études qu’on a faites, ça pourrait complètement réduire, je pense à zéro, la production des GES.

Maja Vodanovic, responsable du dossier de l’eau au comité exécutif de Valérie Plante

« C’est sûr que les citoyens sont toujours plus heureux d’avoir un centre sportif, d’avoir de beaux bancs dans leur parc ou d’avoir un jeu d’eau, a-t-elle continué. Mettre des millions pour brûler ce qu’on ne veut pas voir, ce n’est pas chic. Mais il faut le faire. »

Là encore, l’opposition officielle à l’hôtel de ville ne doute pas de la nécessité de changer ces incinérateurs, mais se questionne sur la capacité de l’administration municipale à le faire au meilleur prix.

« C’est un projet d’envergure qui est là, mais on dirait que les morceaux ne sont pas attachés. Ça reflète la façon de faire de Projet Montréal », a affirmé Aref Salem, en déplorant que ce projet n’ait pas fait l’objet d’une demande de subvention à l’actuel programme fédéral d’infrastructure. « Ce projet, je le sens mal ficelé. Je n’ai aucune idée comment ils vont faire pour aller chercher le financement. »

Le chemin des eaux usées
  • Toutes les eaux usées de l’île de Montréal arrivent à l’usine d’épuration Jean-R.-Marcotte grâce à la gravité. D’immenses tuyaux – les collecteurs –suivent les deux rives de l’île et aboutissent au fond de ces quatre gigantesques citernes de béton, où le niveau d’eau est relativement constant. Les détritus qui flottent à la surface de l’eau sont retirés à l’aide de grands filets.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Toutes les eaux usées de l’île de Montréal arrivent à l’usine d’épuration Jean-R.-Marcotte grâce à la gravité. D’immenses tuyaux – les collecteurs –suivent les deux rives de l’île et aboutissent au fond de ces quatre gigantesques citernes de béton, où le niveau d’eau est relativement constant. Les détritus qui flottent à la surface de l’eau sont retirés à l’aide de grands filets.

  • Toutes les eaux usées de l’île de Montréal arrivent à l’usine d’épuration Jean-R.-Marcotte grâce à la gravité.
D’immenses tuyaux – les collecteurs – suivent les deux rives de l’île et aboutissent au fond de ces quatre gigantesques citernes de béton, où le niveau d’eau est relativement constant. Les détritus qui flottent à la surface de l’eau sont retirés à l’aide de grands filets.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Toutes les eaux usées de l’île de Montréal arrivent à l’usine d’épuration Jean-R.-Marcotte grâce à la gravité.
D’immenses tuyaux – les collecteurs – suivent les deux rives de l’île et aboutissent au fond de ces quatre gigantesques citernes de béton, où le niveau d’eau est relativement constant. Les détritus qui flottent à la surface de l’eau sont retirés à l’aide de grands filets.

  • Un premier filtrage – le dégrillage – est effectué afin de retirer les débris de plus de deux centimètres de diamètre.
Cônes orange, pare-chocs, roues de vélo : les ouvriers en voient de toutes sortes. À bonne fréquence, un mécanisme racle les détritus de la grille afin de permettre à l’eau de continuer à circuler sans problème. L’usine d’épuration est dotée de huit dégrilleurs.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Un premier filtrage – le dégrillage – est effectué afin de retirer les débris de plus de deux centimètres de diamètre.
Cônes orange, pare-chocs, roues de vélo : les ouvriers en voient de toutes sortes. À bonne fréquence, un mécanisme racle les détritus de la grille afin de permettre à l’eau de continuer à circuler sans problème. L’usine d’épuration est dotée de huit dégrilleurs.

  • Les eaux usées sont ensuite dirigées vers une quinzaine de bassins de « désablage », où les produits coagulants qu’on y introduit favorisent l’agglomération des contaminants et des matières solides. Ceux-ci coulent au fond des bassins, où ils sont récupérés. L’eau ainsi traitée peut ensuite être rejetée vers le fleuve.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les eaux usées sont ensuite dirigées vers une quinzaine de bassins de « désablage », où les produits coagulants qu’on y introduit favorisent l’agglomération des contaminants et des matières solides. Ceux-ci coulent au fond des bassins, où ils sont récupérés. L’eau ainsi traitée peut ensuite être rejetée vers le fleuve.

  • Les « boues » récupérées au fond des bassins de désablage sont pompées jusqu’à d’immenses presses qui en extraient le plus gros de l’eau entre les plis d’un textile spécialisé. Les galettes assez sèches qui en ressortent sont surnommées les « gâteaux » par le personnel de la station.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les « boues » récupérées au fond des bassins de désablage sont pompées jusqu’à d’immenses presses qui en extraient le plus gros de l’eau entre les plis d’un textile spécialisé. Les galettes assez sèches qui en ressortent sont surnommées les « gâteaux » par le personnel de la station.

  • Ces « gâteaux » sont brûlés dans quatre énormes incinérateurs au rythme d’environ 13 tonnes à l’heure au total. Le système fonctionne au gaz naturel. Les cendres qui en sortent sont actuellement acheminées vers un site d’enfouissement.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Ces « gâteaux » sont brûlés dans quatre énormes incinérateurs au rythme d’environ 13 tonnes à l’heure au total. Le système fonctionne au gaz naturel. Les cendres qui en sortent sont actuellement acheminées vers un site d’enfouissement.

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En savoir plus
  • 79 000 tonnes
    Quantité de gaz à effet de serre rejetés par l’usine d’épuration des eaux en 2021. Soit l’équivalent des rejets annuels d’environ 24 000 voitures.