Notre journaliste assiste à Washington à la réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, la plus grande rencontre de science généraliste au monde

(Washington) Les incendies dans les forêts boréales ont établi un record d’émissions de gaz à effet de serre en 2021, selon une étude américaine dévoilée au congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences. Il s’agit d’une tendance à long terme et d’une véritable « bombe à retardement », selon ses auteurs.

« Normalement, les forêts boréales représentent 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dues aux incendies », a expliqué en conférence de presse Steven Davis, de l’Université de Californie à Davis, l’auteur principal de l’étude publiée dans la revue Science. « En 2021, ç’a été 23 %. Il s’agit de régions faiblement peuplées et isolées. La gestion des incendies y est plus compliquée. Alors ça risque d’aller en empirant. »

Normalement, les déficits de pluie dans les forêts boréales nord-américaines et eurasiennes ne sont pas synchronisés. Mais en 2021, ç’a été le cas. « Il ne semble pas y avoir de lien entre cette synchronisation de la sécheresse boréale et les changements climatiques », explique M. Davis en marge de la conférence de presse. « Mais si cela s’avérait être le cas, ce serait inquiétant. »

Les incendies de forêt ont émis en 2021 deux milliards de tonnes de carbone, en équivalent CO2. En comparaison, la combustion des carburants fossiles produit 40 milliards de tonnes de carbone par année et l’agriculture, quatre milliards de tonnes.

Lente régénération

Et en 2022 ? « Nous avons des données préliminaires qui montrent que les émissions des forêts boréales sont moins élevées qu’en 2021, dit M. Davis. Mais c’est quand même plus élevé que le niveau normal, environ 200 millions de tonnes de carbone par année. C’est une bombe à retardement. »

L’un des problèmes avec les forêts boréales est qu’elles se régénèrent très lentement. « Il y a aussi moins de dégradation microbienne de la matière organique, ce qui fait qu’au total, les émissions par acre d’un incendie boréal sont plus élevées que pour les forêts plus au sud, même les forêts tropicales. Par la suite, la croissance des arbres, qui enlève du CO2 de l’atmosphère par la photosynthèse, est plus lente dans les forêts boréales. »

Cela ne signifie-t-il pas qu’il y a moins de risque qu’un nouvel incendie se déclare ? « Les feux contrôlés font partie des outils de prévention des incendies de forêt nordiques, dit M. Davis. On laisse brûler certaines sections pour qu’elles créent des barrières à la propagation des incendies. Dans les zones où les arbres poussent lentement, ces barrières sont efficaces assez longtemps. Mais il faut une surveillance active et des interventions ciblées des pompiers, ce qui est difficile dans les vastes étendues boréales, très peu peuplées. »

PHOTO OLIVIER MORIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La croissance des arbres, et par conséquent la captation et la séquestration du carbone, est plus lente dans les forêts boréales que dans les forêts plus au sud.

Environ les deux tiers des émissions d’incendies boréaux proviennent d’Eurasie, essentiellement de Russie. Les émissions de GES des incendies boréaux ont battu un record de 2017 en Amérique du Nord et de 2003 en Eurasie.

PHOTO DIMITAR DILKOFF, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Incendie de forêt en Sibérie, en juillet 2021

Mesure par satellite

L’étude de M. Davis permet aussi de démontrer la supériorité d’une nouvelle méthode de mesure des émissions de GES des incendies de forêt. « Auparavant, on regardait les zones touchées et on calculait à partir d’images leur densité en arbres, dit le climatologue californien. Nous avons mesuré directement par satellite les émissions de monoxyde de carbone (CO). Comme le rapport entre la quantité de CO et la quantité de CO2 émis par un incendie est relativement stable, nous pouvons faire le calcul beaucoup plus rapidement. Nous pourrons suivre les émissions mondiales avec un retard de seulement un mois. »

Quel est l’avantage d’être averti plus rapidement d’émissions anormalement élevées ? Après tout, il est assez difficile d’intensifier la lutte contre les incendies de forêt. « Pour le moment, ça ne change rien, dit M. Davis. Mais dans l’avenir, qui sait ? Si un jour on peut lutter contre les changements climatiques autrement qu’en diminuant les émissions, peut-être que ce sera utile. »

Parmi ces avenues originales de lutte contre les changements climatiques, on retrouve la géo-ingénierie, par exemple l’épandage de suie dans la haute atmosphère pour bloquer les rayons du Soleil, la captation et la séquestration souterraine du CO2 émis par les usines et même la captation directe du CO2 dans l’atmosphère.

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En savoir plus
  • 80 %
    Proportion des émissions de CO2 des incendies de forêt qui est captée en quelques années par la repousse des arbres brûlés
    Source : science
    5 mégatonnes
    Augmentation annuelle des émissions de GES des incendies de forêt depuis 2000
    Source : science