(Québec) Un voyant rouge s’est allumé sur le tableau de bord de Québec concernant son Guichet d’accès à la première ligne (GAP), créé en 2022. La moitié des patients inscrits auprès d’un groupe de médecine de famille (GMF) grâce à cet outil n’ont pas obtenu de rendez-vous médical dans les deux dernières années, selon une source gouvernementale.

Ce qu’il faut savoir

Un nouveau conflit oppose le gouvernement Legault et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

Québec éliminera le 31 mai une prime représentant plus de 100 millions de dollars par année, car il doute de son efficacité.

Cette prime annuelle de 120 $ est versée pour chaque patient inscrit à un groupe de médecine de famille.

La fin de la prime risque de nuire à l’accès aux services, selon la FMOQ.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) réplique que cette donnée est trompeuse et ne constitue pas un indicateur fiable de l’accès aux médecins.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a provoqué la colère de la FMOQ en annonçant la suppression d’une prime annuelle de 120 $ versée pour chaque patient inscrit à un GMF par l’entremise de son nouveau guichet. Cette prime représente une facture annuelle de plus de 100 millions de dollars.

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Christian Dubé, ministre de la Santé

Elle ne sera plus versée à compter du 31 mai, date à laquelle prend fin une entente conclue avec la FMOQ en 2022 lors de la création du GAP par Christian Dubé.

Pourquoi ferme-t-il le robinet le temps de négocier une nouvelle entente avec la FMOQ ?

Il est vrai que le gouvernement se félicite depuis des mois que son GAP a permis depuis 2022 à de nombreux Québécois d’être inscrits auprès d’un GMF (et non d’un médecin de famille). C’est le cas pour 910 000 personnes à ce jour. Mais au fil du temps, il a constaté qu’un patient inscrit n’est pas nécessairement un patient suivi. Utilisons une image : M. Tremblay a beau figurer sur la liste des patients du GMF, il n’arrive pas toujours à entrer dans le bureau d’un médecin.

Chiffres à l’appui

Québec est parvenu à obtenir des informations démontrant le problème d’accès, selon lui. Un patient sur deux parmi les 910 000 inscrits auprès d’un GMF a vu l’un des médecins de son groupe dans les deux dernières années. Cette donnée a allumé un voyant rouge sur son tableau de bord.

L’entente avec la FMOQ prévoit que le GMF doit offrir l’équivalent d’une plage de rendez-vous par année pour chaque patient inscrit.

Le gouvernement n’a toutefois pas encore un diagnostic complet de la situation. Il doit obtenir des données supplémentaires bientôt grâce à une loi qu’il a fait adopter en 2022 (projet de loi 11). Le règlement pour mettre en application cette loi et forcer les médecins à fournir des informations sur leur emploi du temps sera adopté bientôt.

Christian Dubé veut notamment vérifier si les médecins se sont rendus disponibles pour leurs patients inscrits grâce au GAP. Par exemple : les plages de rendez-vous sont-elles ouvertes seulement à la dernière minute en fin de journée pour respecter les termes de l’entente, quitte à ce qu’aucun patient ne soit vu dans les faits ?

La FMOQ est outrée par les arguments et les questionnements du gouvernement. Ils ne tiennent pas la route, selon elle.

Elle soutient que les 910 000 patients inscrits n’ont pas tous nécessairement eu besoin de voir un médecin dans les deux dernières années. Ils n’ont probablement pas tous tenté d’obtenir un rendez-vous non plus, ajoute-t-elle.

Elle rappelle que le ministre disait lui-même cette semaine que « moins de 10 % des demandes au GAP auxquelles on souhaiterait accorder un rendez-vous médical n’ont pas de plages disponibles ». La FMOQ soutient également que ses membres ont rendu disponibles davantage de plages de rendez-vous que ce que prévoit l’entente.

Selon elle, la fin de la prime « met à mal » le GAP, « l’une des rares réussites que le Québec aura connues ces dernières années dans l’amélioration de l’accès aux soins ». Cet accès risque d’être plus difficile pour les patients.

Plongés « dans l’incertitude »

Le gouvernement « plonge des équipes complètes de soins et des patients dans l’incertitude pour la suite des choses », selon le président de la FMOQ, le DMarc-André Amyot. Il rappelle que le financement prévu à l’entente a permis d’embaucher du personnel. Il tentera de convaincre le ministre « de convenir de modalités de transition ».

Lors d’une mêlée de presse au parlement jeudi, Christian Dubé a assuré que « le GAP est là pour rester ». Mais « il n’y aura pas plus d’argent s’il n’y a pas plus d’accès », a-t-il prévenu.

Il demande donc aux médecins de « faire leur part et respecter l’entente » d’ici au 31 mai.

Les dollars ont été donnés. Mais est-ce que les rendez-vous additionnels ont été pris ? C’est ça que je veux vérifier.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Il était entendu selon le ministre que l’entente liée au GAP serait renégociée dans le cadre des pourparlers sur le renouvellement de l’accord global sur la rémunération des membres de la FMOQ.

Le dossier a rebondi au Salon bleu, lors de la période des questions. « Le GAP passe à la trappe ! », a lancé le chef intérimaire du Parti libéral, Marc Tanguay. La fin de la prime revient selon lui à remettre en cause le financement de ce guichet. « C’est une coupure en santé », un non-respect d’engagement de la part du premier ministre, selon lui.

« On veut continuer à utiliser le GAP, donc il n’est pas question de couper, a répliqué François Legault. On est en négociation avec la FMOQ pour poursuivre cette entente. »

Réactions de l’opposition

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André Fortin, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de santé

On est à un mois de la date fatidique où il y a 900 000 Québécois qui pourraient perdre leur accès, puis le ministre nous dit : “Non, non, inquiétez-vous pas, ça va bien aller.” Ça, c’est le bébé de Christian Dubé, la seule option que lui a introduite pour que les gens aient accès à un médecin de famille ; la seule option supplémentaire, c’est le GAP, c’est celle qu’il a mise sur la table.

André Fortin, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de santé

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Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de santé

Le feu est pris dans la cabane, et ça, c’est la faute du gouvernement, c’est la faute de ce ministre qui aurait dû faire ce qu’ils s’étaient engagés à faire en tant que parti, c’est-à-dire revoir le mode de rémunération des médecins. Ils ne l’ont pas fait.

Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de santé

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Joël Arseneau, porte-parole du Parti québécois en matière de santé

C’est vaudevillesque dans la mesure où il y a un système qui a été mis en place pour compenser le bris de promesse de la CAQ qui consistait à ce que tous les Québécois aient un médecin de famille. Le système, là, il n’est pas nécessairement des plus efficaces, puis on n’a pas les données à l’effet qu’il y a un plus grand nombre de rendez-vous qui ont été obtenus par les gens qui en ont besoin.

Joël Arseneau, porte-parole du Parti québécois en matière de santé

Avec la collaboration de Charles Lecavalier, La Presse