Québec refuse de rendre public un audit sur les accès illégaux aux dossiers médicaux dans les hôpitaux, commandé après une enquête de La Presse au printemps dernier. Selon le gouvernement, les données dans ce « document de travail » ne sont « vraiment pas assez fiables » pour être transmises.

Les Québécois doivent donc patienter pour connaître la fréquence réelle des violations du secret médical dans les établissements de santé.

Notre série d’articles en mai 2023 décrivait des milliers de consultations illégales de dossiers médicaux, dont celui de Véronique Cloutier. L’animatrice vedette avait fait préparer la liste des accès à son dossier médical à l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil à la demande de La Presse. Cette « journalisation » avait révélé plus d’une quinzaine de consultations inexpliquées à son dossier depuis sa dernière visite en 2012.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’animatrice Véronique Cloutier, en rencontre avec La Presse en mai 2023, en marge d’une enquête sur les consultations illégales des dossiers médicaux

Les reportages expliquaient aussi comment Québec ignorait l’ampleur du problème, faute de données à ce sujet.

À la publication des premiers articles, le ministre Christian Dubé a ordonné aux établissements de santé de vérifier les accès illégaux aux dossiers médicaux. « Donnez-moi l’ampleur de ce qui est arrivé et si des PDG doivent prendre des mesures avec certains employés, on va les prendre », résumait-il au sujet de la consigne passée aux hôpitaux.

« Document de travail »

Neuf mois plus tard, Québec explique qu’une campagne de vérification et d’échantillonnage des dossiers médicaux a eu lieu, mais refuse d’en communiquer les résultats.

« C’est vraiment un document de travail », explique la porte-parole du ministère de la Santé, Marie-Claude Lacasse.

On n’a pas reçu les portraits demandés de tous les établissements et les méthodes d’échantillonnage ne sont pas les mêmes.

Marie-Claude Lacasse, porte-parole du ministère de la Santé

Le Ministère a bien produit un « audit préliminaire » sur la base des données reçues des établissements de santé. Il dit toutefois vouloir « compléter des travaux complémentaires afin d’avoir un plus grand répertoire de données ».

« Ces travaux seront réalisés à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux prévue au printemps. »

La nouvelle Loi 5 doit bientôt imposer un système national centralisant les renseignements médicaux de tous les établissements. Elle prévoit aussi des sanctions pénales pour les consultations injustifiées. Elles pourront atteindre 100 000 $ pour une personne physique et 150 000 $ pour une organisation.

Mesures disciplinaires : pas de données non plus

Le cabinet du ministre Christian Dubé assure que la décision de retenir l’audit est celle des fonctionnaires, mais il l’approuve. L’attaché de presse Antoine de la Durantaye affirme que « la grande majorité des établissements » ont communiqué leurs résultats et affirme que les consignes que Christian Dubé a données en mai dernier ont déjà porté leurs fruits.

Il faut toutefois le croire sur parole, puisque le Ministère n’a aucune statistique à transmettre sur le nombre total d’infractions aux règles d’accès aux données médicales détectées grâce à l’audit ordonné en mai 2023.

« Les établissements (CISSS/CIUSSS/CHU) sont les employeurs, et donc sont responsables des mesures disciplinaires, écrit Marie-Claude Lacasse. Le MSSS n’a pas accès à ces informations, il faudrait voir auprès des établissements directement. »

À l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil, les révélations de La Presse sur les accès injustifiés au dossier de Véronique Cloutier ont mené à « une démission, un congédiement et de nombreux avis disciplinaires ».

Le CISSS de la Montérégie-Est, qui chapeaute l’établissement, a ensuite mené de plus amples vérifications dans les dossiers de ses patients. Elles ont permis de détecter des accès injustifiés dans les données médicales de 26 usagers par sept employés. Ces découvertes ont mené à un autre congédiement et à une plainte auprès d’un ordre professionnel, explique la porte-parole Caroline Doucet.

« Inaction »

Avocat spécialisé dans la défense des patients, Patrick Martin-Ménard ne s’explique pas que Québec refuse de communiquer son audit sur les accès illégaux aux données médicales.

De voir que, plusieurs mois après le reportage de La Presse, on se retrouve encore avec très peu de réponses et de solutions, ça démontre encore une fois l’inaction du système de santé.

Patrick Martin-Ménard, avocat spécialisé dans la défense des patients

Selon lui, « tous les Québécois, qui sont des usagers du système de santé, ont un droit absolu de savoir quelles sont les mesures prises pour protéger leurs données médicales confidentielles ».

Ex-membre de la Commission d’accès à l’information, Cynthia Chassigneux s’étonne elle aussi de constater que le ministère de la Santé n’est toujours pas prêt à rendre public son audit sur les violations du secret médical.

« Neuf mois, ça paraît long pour faire l’exercice, dit l’avocate, qui a rédigé le rapport de la Commission sur le vol massif de données chez Desjardins en 2020. En plus, ça fait partie de son pouvoir de surveillance… »

Elle se demande si certains établissements considèrent que les entorses aux règles de confidentialité ne concernent pas le gouvernement.

« C’est inquiétant qu’on ne puisse pas se faire une idée de l’état de la situation, dit Cynthia Chassigneux. Je pense que les citoyens veulent comprendre ce qui se passe avec leurs renseignements personnels. »