(Québec) Québec a l’intention de freiner l’essor de la médecine à deux vitesses. Il envisage de resserrer les règles permettant aux médecins de faire le va-et-vient entre le régime public et le privé, où des patients sont prêts à payer des milliers de dollars pour se faire opérer et éviter les listes d’attente.

Dans les 10 derniers mois, 137 médecins ont quitté temporairement le régime public plus d’une fois pour aller travailler dans le privé. C’est le double d’il y a cinq ans. Le phénomène est en hausse de 10 % par rapport à l’ensemble de l’année 2022-2023.

Il s’agit essentiellement de médecins spécialistes (133), surtout des orthopédistes et des radiologistes.

C’est justement en chirurgie orthopédique que les listes d’attente sont les plus longues. Parmi les 40 395 personnes en attente, 4430 sont sur la liste depuis plus d’un an et 11 075 le sont depuis 6 à 12 mois.

Révision des règles

Les règles actuelles favorisent le va-et-vient entre le public et le privé, déplorent depuis des années les Médecins québécois pour le régime public (MQRP), un groupe créé en 2005 après le jugement Chaoulli de la Cour suprême, qui a ouvert plus grand la porte au privé. Il y a 15 ans, il alertait le gouvernement sur le « va-et-vient » de médecins entre le public et le privé. On était alors aux balbutiements d’un phénomène qui allait prendre de l’ampleur.

Pour sortir du régime public, un médecin n’a qu’à transmettre un avis à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et à attendre 30 jours. Après ce délai d’un mois, il devient « non participant » au régime public et peut commencer à pratiquer au privé.

Pour redevenir « participant » à la RAMQ, c’est encore plus rapide. Il suffit d’envoyer un nouvel avis à la société d’État, et le médecin peut reprendre sa pratique au public huit jours plus tard.

Les médecins peuvent donc faire la navette entre le public et le privé plusieurs fois par année. Et de plus en plus le font.

Québec prêt à changer les règles

Or, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a l’intention de changer les règles du jeu. Une réflexion sérieuse est en cours, mais aucune décision n’a encore été prise, selon des informations obtenues de sources sûres. Des discussions auront lieu avec les fédérations de médecins en vue de resserrer la réglementation au cours des prochains mois.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

Un scénario circule à Québec : le gouvernement ferait passer le délai pour se désaffilier de la RAMQ de 30 à 180 jours – environ six mois. Une telle prolongation du délai de préavis empêcherait tout médecin de sauter la clôture plusieurs fois par année. L’objectif serait aussi de dissuader les médecins de quitter le régime public.

Le Collège des médecins inquiet

La réflexion du gouvernement va dans le sens d’une proposition faite par le Collège des médecins l’an dernier. Cet ordre professionnel a recommandé de donner un tour de vis « afin de s’assurer des soins véritablement universels et accessibles ».

« Ainsi, les règles permettant l’alternance entre les régimes public et privé doivent être raffermies pour éviter qu’un médecin puisse offrir presque simultanément un même service au public et au privé, et ainsi engendrer des situations de médecine à deux vitesses », peut-on lire dans un mémoire transmis à Québec dans le cadre des consultations sur la réforme Dubé.

Le Collège ajoute que « cette alternance entre le public et le privé a aussi un impact sur la disponibilité des ressources professionnelles au sein des établissements publics ». L’essor du privé draine la main-d’œuvre du public.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement s’inquiète de la situation, mais aucune solution concrète n’a été présentée à ce jour.

Il y a dix ans, le ministre de la Santé du gouvernement Marois, Réjean Hébert, parlait déjà d’une « hémorragie ». « Il y a des médecins qui prévoient dans leur horaire de se désengager une partie du temps pour pratiquer dans le privé et de se réengager par la suite. Cette espèce de ping-pong, on veut régler ça », disait-il.

En 2017, le ministre de la Santé du gouvernement Couillard, Gaétan Barrette, annonçait son intention de faire une « vigie » de ce phénomène qui gagnait en popularité. C’est « l’appât du gain » qui mène des médecins à faire la navette entre le public et le privé, déplorait-il, tout en signalant que cette pratique ne compromettait pas l’accessibilité aux services publics.

Le manque d’accès aux blocs opératoires dans les hôpitaux a également été cité dans les dernières années comme un facteur poussant des médecins spécialistes à faire le choix du privé.

Les longues listes d’attente pour une opération dans le régime public incitent quant à elles des patients à payer le gros prix pour se faire soigner plus rapidement dans des cliniques privées.

Exode des médecins de famille

La réflexion du gouvernement concerne également l’exode des médecins vers le privé. Ils sont plus nombreux que jamais à tourner le dos au régime public. En date du 17 janvier, il y avait 720 médecins non participants à la RAMQ. C’est une hausse de 57 % en cinq ans. Ils représentent aujourd’hui 3,27 % de l’ensemble des médecins ; c’était environ 2 % en janvier 2019.

Cet exode s’observe surtout chez les médecins de famille, un phénomène quasi inexistant auparavant. Ils sont quatre fois plus nombreux qu’il y a cinq ans à bouder le régime public pour exercer leur profession dans des cliniques privées où les soins sont facturés aux patients.

Québec a l’intention de renverser la tendance. Il jongle avec différentes idées, comme celle d’obliger les nouveaux médecins à pratiquer au moins cinq ans dans le réseau public.

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a déjà signalé au cours des derniers mois que de plus en plus de jeunes font maintenant le choix du privé en début de carrière.