(Ottawa) Le gouvernement fédéral songe à suspendre son projet d’élargir les règles encadrant l’aide médicale à mourir pour y inclure les personnes dont la seule condition sous-jacente serait un trouble mental.

« Nous évaluons nos options », a déclaré mercredi le ministre de la Justice, Arif Virani.

Ce serait la deuxième fois que les libéraux fédéraux suspendent leur projet d’élargissement. La première fois, en février, le gouvernement avait décidé d’imposer un délai d’un an, face aux préoccupations de la population et de la classe politique.

Cette décision avait fixé une nouvelle échéance, mars 2024, qui semble maintenant compromise. Le cabinet prendra en compte les avis d’un comité parlementaire mixte, ainsi que ceux d’experts médicaux et d’autres intervenants, a expliqué le ministre Virani, qui a hérité du dossier en juillet lors d’un remaniement.

« Nous évaluerons tout cela de manière exhaustive afin de décider si nous allons de l’avant le 17 mars ou si nous prenons une pause », a-t-il déclaré à La Presse Canadienne en entrevue. Les deux options sont « sur la table », a-t-il ajouté.

En février, le prédécesseur de M. Virani, David Lametti, déclarait que le gouvernement aurait pu aller de l’avant avec son échéancier, mais qu’il avait préféré donner aux professionnels de la santé plus de temps pour se préparer au changement.

À l’époque, M. Lametti indiquait qu’une prolongation « donnerait suffisamment de temps pour garantir que notre système de soins de santé protège les personnes vulnérables et soutienne l’autonomie et la liberté de choix ».

Cependant, la PDG de Mourir dans la dignité Canada, un organisme qui s’est battu pour un meilleur accès à l’aide médicale à mourir, se dit inquiète du fait que le gouvernement « enchaîne les gens et les déçoit » avec un autre report possible.

« Il y a des gens qui attendent depuis des années juste pour dire : “Puis-je être évalué ?” Pas même : “suis-je admissible ?” Mais : “puis-je être évalué ? Et que dois-je faire ensuite ?”, a déclaré Helen Long vendredi. Pour ces personnes, nous sommes préoccupés par une annonce comme celle-ci qui les plonge dans une crise. »

L’aide médicale à mourir a été légalisée au Canada en 2016. Trois ans plus tard, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnel le critère initial exigeant que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible ».

Les sénateurs ont également fait valoir que l’exclusion des personnes atteintes d’un trouble mental constituait une violation de leurs droits. Le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a finalement accepté en 2021 d’élargir l’admissibilité.

Cette décision a donné lieu à une « clause de temporisation » de deux ans, qui devait expirer en mars dernier, avant que les libéraux ne proposent de la prolonger d’une autre année, jusqu’en mars prochain.

Un vif débat

Une poignée de pays européens autorisent déjà les adultes dont le seul problème médical est un trouble mental à demander l’aide médicale à mourir. La question de savoir si le Canada doit suivre cet exemple a suscité un vif débat.

Ses partisans affirment que l’élargissement du régime offre un choix aux personnes qui souffrent et n’ont pas d’autres options ; leur refuser constitue une violation de leurs droits.

Certains représentants d’organismes pour les personnes handicapées estiment toutefois qu’un soutien adéquat en matière de santé mentale constitue une meilleure option.

D’autres organisations, comme le Centre for Addiction and Mental Health, notent qu’il n’existe pas de consensus médical clair sur ce qui constitue une maladie mentale « grave et irrémédiable », ou sur la manière de la distinguer d’un désir de suicide.

Selon le ministre Virani, la première étape consistera à évaluer les recommandations d’un comité mixte spécial de députés et de sénateurs chargé d’étudier la question. Le comité s’est réuni de nouveau pour étudier si le système était prêt à un tel élargissement.

Les membres du comité ont adopté le rapport, mais ont jusqu’à la fin du mois de janvier pour le présenter à la Chambre des communes, a mentionné le coprésident René Arseneault, député libéral du Québec, dans une déclaration.

« Les Canadiens devraient suivre les recommandations du comité, car nous tenons beaucoup à ce que le système soit prêt, a affirmé le ministre Virani. Cela influencera ce que nous ferons le 17 mars […] si nous allons de l’avant ou non avec la maladie mentale comme seule condition sous-jacente. »

Mme Long estime toutefois que le gouvernement fédéral a fait ce qu’il fallait pour garantir que le système de santé soit prêt, notamment l’élaboration d’un programme d’études national. Le fait que le ministre Virani ait formulé ses commentaires avant que le comité ne soumette son rapport est « décevant », a-t-elle dit.

« Il est important de ne pas confondre ceux qui ne soutiennent pas cette option avec (la question de) : “Sommes-nous prêts ?”, a-t-elle ajouté. Ce sont deux choses différentes. »

La décision de demander une assistance médicale pour mettre fin à sa vie est un « choix personnel fondamental », a-t-il ajouté. Le gouvernement, a-t-il dit, « écoute très activement » les voix qui affirment que le Canada n’est pas prêt à étendre son champ d’action aux maladies mentales.

Le chef des conservateurs fédéraux, Pierre Poilievre, s’est déjà engagé à retirer les plans d’élargissement s’il forme le prochain gouvernement.

Certains députés libéraux s’opposent également à cette idée. Huit d’entre eux ont rompu les rangs en octobre. Ils ont soutenu un projet de loi d’initiative parlementaire conservateur qui aurait modifié le Code criminel afin d’interdire expressément l’utilisation d’un trouble mental comme critère d’admissibilité pour l’aide médicale à mourir.

Vingt-quatre élus néo-démocrates ont appuyé ce projet de loi ; aucun ne s’y est opposé. Le projet de loi a été rejeté par la majorité des députés libéraux et tous les députés du Bloc québécois.