(Ottawa) Québec a été pris de court par l’annonce lundi de la mise en œuvre progressive du programme fédéral d’assurance dentaire puisque ses négociations avec Ottawa n’étaient pas terminées. Les aînés de 87 ans et plus recevront bientôt une lettre pour s’inscrire auprès de Service Canada et recevoir leurs premiers soins dentaires couverts dès le mois de mai. Un « moment historique » pour les libéraux et les néo-démocrates.

Qui sera admissible et à partir de quand ?

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Don Davies (à droite), porte-parole du NPD en matière de santé

« Le NPD a utilisé son pouvoir pour offrir des soins dentaires à neuf millions de Canadiens », s’est réjoui le porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de santé, Don Davies, lors d’une conférence de presse commune tenue avec plusieurs ministres libéraux. Le déploiement du programme se fera de façon graduelle, d’abord auprès des aînés qui pourront s’inscrire par téléphone auprès de Service Canada en fournissant leur numéro d’assurance et un code unique. Des lettres avec les instructions seront envoyées dès lundi prochain aux 87 ans et plus. Suivront les 77 à 86 ans en janvier, les 72 à 76 ans en février et les 70 à 71 ans en mars. Les personnes âgées de 65 à 69 ans recevront leur lettre en mai, mais devront s’inscrire en ligne. Les personnes handicapées et les enfants de moins de 18 ans recevront leur lettre en juin. Les autres personnes admissibles pourront faire leur demande en 2025. Il y a quatre critères pour être admissible, soit ne pas avoir accès à une autre assurance dentaire, avoir un revenu familial net rajusté de moins de 90 000 $ annuellement, être un résident canadien et avoir produit une déclaration de revenus l’année précédente. Le revenu familial net rajusté ne tient pas compte des allocations fédérales que les familles reçoivent.

Est-ce que les Québécois y auront accès ?

Oui, les Québécois y auront accès même si la Régie de l’assurance maladie du Québec offre déjà un programme pour tous les enfants de moins de 10 ans sans égard au revenu de leurs parents, et pour les prestataires d’un des programmes d’aide financière du gouvernement. « Nous avons un autre exemple du gouvernement fédéral qui, visiblement, ne peut s’empêcher d’empiéter dans les champs de compétence du Québec », a dénoncé le ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge, dans une déclaration écrite. Le gouvernement Legault a été pris de court vendredi en apprenant qu’Ottawa irait de l’avant même si leurs négociations n’avaient pas abouti. Il veut obtenir un droit de retrait avec pleine compensation, soit 3 milliards sur cinq ans, pour bonifier son propre régime de soins dentaires. Le gouvernement fédéral estime que près de deux millions de Québécois, dont de nombreux aînés, n’ont pas les moyens d’aller chez le dentiste.

Comment fonctionnera le programme ?

Service Canada acheminera les renseignements de chaque participant à la Sun Life, qui administrera le programme. Le gouvernement a accordé un contrat de 740 millions d’une durée de cinq ans à la compagnie d’assurance avec possibilité de renouveler jusqu’à cinq ans de plus. La Sun Life procédera à l’inscription de chacun des participants, à qui elle enverra une trousse de bienvenue. La date de début du régime dépendra du moment de l’inscription de chaque personne, mais les premiers prestataires pourront y avoir accès dès mai 2024. Les réclamations auprès de la Sun Life seront effectuées par le dentiste au nom du patient, qui pourrait toutefois avoir à débourser une quote-part en fonction de son revenu. Ainsi, les personnes qui ont un revenu familial net rajusté en deçà de 70 000 $ ne paieront rien. Celles dont le revenu familial est entre 70 000 $ et 79 999 $ devront débourser 40 % des frais tandis que ce sera 60 % pour celles dont le revenu familial est entre 80 000 $ et 89 999 $. La Prestation dentaire canadienne, qui était en vigueur depuis un an pour les enfants de moins de 12 ans, se terminera le 30 juin 2024.

Qu’est-ce qui sera couvert ?

Le programme fédéral de soins dentaires couvrira les services de prévention – détartrage, polissage, fluorure, scellants –, de diagnostic comme les examens et les radiographies, de restauration comme les obturations (plombages), les services endodontiques comme les traitements de canal, les services prosthodontiques comme les prothèses complètes ou partielles, les services parodontiques comme les détartrages en profondeur, et les services de chirurgie buccale comme les extractions de dents. La grille tarifaire variera d’une province à l’autre, mais elle sera différente de la grille tarifaire des associations dentaires provinciales. L’Association des chirurgiens dentistes du Québec a déjà prévenu que ses membres allaient facturer leurs honoraires habituels en fonction de leurs frais d’exploitation. « […] Le gouvernement fédéral doit prendre en considération que les dentistes ne peuvent offrir des soins au rabais », a indiqué son président, Carl Tremblay.

Combien ça va coûter ?

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Mark Holland, ministre fédéral de la Santé

Le gouvernement Trudeau a prévu 13 milliards sur cinq ans dès 2023-2024 et 4,4 milliards par la suite pour la mise sur pied du Régime canadien de soins dentaires, qui vise à combler les lacunes des régimes d’assurance privés et des régimes provinciaux et territoriaux. La création d’un programme de soins dentaires pour les gens à faible revenu est le premier élément de l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates qui permet au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau de diriger le pays comme s’il détenait une majorité jusqu’en 2025. « C’est transformateur, a affirmé le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland. Aujourd’hui, un tiers des Canadiens n’ont pas accès à une assurance dentaire par l’intermédiaire de leur employeur. » L’Ordre des dentistes du Québec considère que le programme « marque un tournant historique » en reconnaissant « la santé buccodentaire comme un élément crucial de la santé globale ».

Quelles sont les autres réactions ?

Le Bloc québécois et le Parti conservateur ont dénoncé cette ingérence dans un champ de compétence du Québec. Le leader parlementaire du Bloc québécois, Alain Therrien, s’explique mal « pourquoi on tourne le dos de façon aussi sauvage à Québec » et dénonce cette « compétition entre deux systèmes sur un même territoire ». « Que les provinces n’en veuillent pas déjà, il y a un accrochage », a commenté le lieutenant politique pour le Québec des conservateurs, Pierre Paul-Hus, qui craint un nouveau fiasco comme celui des passeports.