Sainte-Agathe-des-Monts va perdre 14 médecins de famille en 24 mois, soit le tiers des effectifs des deux cliniques de la municipalité. Les médecins partent à la retraite ou vers le privé, laissant des milliers de patients orphelins. Cette vague de départs risque d’augmenter la pression sur l’hôpital Laurentien, déjà parmi les plus achalandés de la province.

Ce qu’il faut savoir

  • Quatorze médecins de famille quitteront Sainte-Agathe-des-Monts d’ici la fin de l’année. Ces départs ont commencé en janvier 2022.
  • Les Laurentides affichent l’un des pires taux d’occupation des urgences parmi les 17 régions de la province.
  • Au moins 10 000 personnes risquent de se retrouver sans médecin de famille à cause de cette vague de départs. La Coalition Santé Laurentides s’inquiète que les patients se tournent vers les urgences des hôpitaux de la région.

Le groupe de médecine de famille (GMF) des Sommets confirme que huit médecins sont partis ou partiront à la retraite d’ici la fin de l’année. Quatre autres poursuivront leurs activités dans une clinique privée et deux réorienteront leur pratique. Ce sont donc 14 des 40 médecins qui quittent les deux cliniques de la municipalité de 11 530 habitants.

« C’est énorme, c’est vraiment énorme », laisse tomber France Lauzon, adjointe au médecin responsable du GMF. « Les médecins qui quittent à la retraite, ils suivaient un lot assez important de personnes. C’est donc beaucoup de patients qui vont malheureusement devenir orphelins », ajoute-t-elle.

Ni le GMF ni le CISSS des Laurentides n’ont comptabilisé de données, mais au moins 10 000 personnes risquent de se retrouver sans médecin de famille.

Le CISSS recommande à ces patients orphelins de s’inscrire au Guichet d’accès à un médecin de famille. « Les personnes dont l’état de santé est particulier peuvent demander à ce qu’une infirmière les rappelle pour une évaluation de santé afin d’établir la priorité de leur dossier », explique Dominique Gauthier, conseillère en communication au CISSS des Laurentides.

« Toutes les personnes sans médecin de famille ont automatiquement accès aux services du Guichet d’accès à la première ligne (GAP), en composant le 811, option 3 », ajoute-t-elle.

Marc L’Heureux, préfet de la MRC des Laurentides et président de la Coalition Santé Laurentides, est persuadé que le départ de ces médecins aura un impact sur l’hôpital Laurentien à Sainte-Agathe-des-Monts, mais aussi sur l’hôpital de Saint-Jérôme et celui de Rivière-Rouge.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’hôpital Laurentien, à Sainte-Agathe-des-Monts

« C’est sûr ! En plus, nous autres, on est habitués aux urgences pleines. On a des records dans plusieurs hôpitaux de la région », se désole le président de la coalition qui regroupe des municipalités, des associations de médecins et des organismes communautaires, notamment.

Des 17 régions du Québec, les Laurentides affichent en effet parmi les pires taux d’occupation dans les urgences. Mercredi, ce taux atteignait 156 % alors que la moyenne de la province est de 120 %. Le délai de la prise en charge après le triage était de 4 h 19 min, alors que la moyenne provinciale est de 3 h.

M. L’Heureux note d’ailleurs que les médecins de l’hôpital de Rivière-Rouge ont lancé un cri du cœur, il y a exactement un an, pour dénoncer le manque de personnel qui a un impact direct sur les soins aux patients. Plus récemment, les médecins de l’hôpital de Lachute et de celui de Saint-Eustache ont aussi lancé un signal d’alarme similaire.

« On est en train de frapper un mur ! s’exclame M. L’Heureux. C’est ce qu’on dit depuis trois ans à cause du sous-financement. »

PHOTO ISABELLE MICHAUD, FOURNIE PAR LA MRC DES LAURENTIDES.

Marc L’Heureux, président de la Coalition Santé Laurentides (CSL) et préfet de la MRC des Laurentides

Le CISSS des Laurentides compte atténuer la vague de départs grâce à l’arrivée de nouveaux médecins, en 2023 et en 2024, qui « vont s’établir graduellement » à Sainte-Agathe-des-Monts. « Le Département régional de médecine générale est préoccupé par la situation et travaille étroitement avec l’ensemble des responsables médicaux afin d’ajuster, pendant l’année, la répartition des effectifs médicaux afin que les besoins prioritaires soient comblés », précise Dominique Gauthier, du CISSS des Laurentides.

« Quant à la répercussion de ces départs à la retraite sur nos services d’urgence, nous demeurons hautement vigilants : la croissance de la population des Laurentides est un enjeu réel pour l’ensemble de notre territoire avec un impact important sur l’accès aux services de santé de première ligne », poursuit-elle.

« Laissés pour compte »

Le DLouis-Jean Deslauriers, médecin à la Clinique médicale des Sommets, explique que ses collègues qui choisissent de partir vers le privé le font pour mieux concilier leur vie de famille et leur vie professionnelle.

« J’ai reçu un courriel des 14 médecins pour me demander si je pouvais prendre quelques-uns de leurs patients, ceux qui ont le plus besoin d’un suivi. Mais moi-même, je vais prendre ma retraite dans deux ou trois ans et j’ai actuellement 1300 patients », raconte ce médecin de 63 ans.

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La Clinique médicale des Sommets, à Sainte-Agathe-des-Monts

Il explique que les patients qui perdent leur médecin de famille vont également perdre un accès au « sans rendez-vous » dans les deux cliniques de la municipalité et aussi à la Coop Santé de Saint-Adolphe-d’Howard qui est rattachée à son GMF.

« Avant, on avait du ‟sans rendez-vous” et on voyait du monde de Saint-Jérôme, de Boisbriand ou d’ailleurs qui n’arrivait pas à avoir un rendez-vous dans leur coin. Mais là, on a arrêté de recevoir ces patients afin de prioriser ceux de notre clinique », explique le médecin.

« En coupant le ‟sans rendez-vous” et en le réservant aux patients de ma clinique, la minute qu’un médecin s’en va, même s’il suit des patients depuis 35 ans, ceux-ci n’ont plus de docteur et plus accès à la clinique. Ils n’ont plus rien. Ils sont laissés pour compte. Ils sont dans un nowhere total », se désole le médecin qui appréhende le jour, dans un avenir pas si lointain, où il cessera lui-même de pratiquer la médecine.

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La Clinique Médicale 201, à Sainte-Agathe-des-Monts

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme que certains départs à la retraite étaient « prédits » par la modélisation. « Ces départs sont prévus dans le nombre de places données annuellement à chaque région pour renouveler les effectifs. Ainsi, les modèles de planification des PREM [plan régional d’effectifs médicaux] prennent en compte, entre autres, la mobilité des médecins et les retraites », explique Marie-Claude Lacasse, coordonnatrice aux relations avec les médias du MSSS.

En 2023, cinq places ont été accordées au PREM pour la région des Laurentides. Les PREM 2024 seront annoncés sous peu.