Depuis décembre 2020, Québec utilise un nouveau système pour faire le suivi des maladies à déclaration obligatoire, dont plusieurs infections transmissibles sexuellement comme la syphilis, la gonorrhée et les infections à chlamydia. Le hic : contrairement à l’ancienne base de données, il contient l’identité des personnes concernées. Face à un problème de « confidentialité », les autorités sanitaires de Montréal ont cessé d’y verser le nom des patients.

La Presse a obtenu une note de service interne du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Datée du 23 août, elle mentionne que la nouvelle base de données, le Système d’information de gestion des maladies infectieuses (SI-GMI), présente « des enjeux de conformité juridique liés à la confidentialité ».

Le CIUSSS, qui chapeaute la Direction régionale de santé publique de Montréal, a donc décidé de revenir à « la saisie des chlamydias et gonorrhées » dans son ancien système, précise dans la note le chef de la vigie sanitaire, Jonathan Leduc.

Contacté par La Presse, le CIUSSS précise que la Santé publique de Montréal continue d’utiliser également le SI-GMI, mais « uniquement les données minimales requises ». Elles excluent le nom des personnes infectées, dit Jean-Nicolas Aubé, porte-parole de l’organisme et de la Santé publique de Montréal.

Les autres directions régionales de santé publique continuent de verser dans le système le nom des patients atteints de maladies à déclaration obligatoire (MADO), dont certaines infections transmises sexuellement.

« Pour le moment, seule la Direction de santé publique de Montréal a choisi d’interrompre la saisie de certaines données dans SI-GMI », précise Francis Martel, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

En principe, le SI-GMI doit intégrer un grand nombre d’informations permettant aux autorités sanitaires d’enquêter et d’intervenir. Elles peuvent inclure les habitudes sexuelles de patients, les endroits fréquentés, le statut de grossesse et l’identité des personnes vivant sous le même toit.

Un système montréalais

Paradoxalement, c’est pourtant le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal lui-même qui a conçu le SI-GMI, à la demande de Québec. Depuis décembre 2020, les directions régionales de santé publique y intègrent peu à peu leurs données nominatives sur les maladies à déclaration obligatoire.

L’ensemble des employés responsables de la surveillance des maladies infectieuses au Québec peuvent le consulter. L’ancien système était plutôt cloisonné par régions.

Contrairement aux autres directions de santé publique, celle de Montréal exploite sa base de données maison. Elle n’a commencé à utiliser le SI-GMI que le 2 juin dernier, puis a cessé d’y verser les noms des patients le 24 août en raison des enjeux de confidentialité.

Vérifications en cours à Québec

Dans un courriel à La Presse, le ministère de la Santé et des Services sociaux se dit conscient des « enjeux » avec le SI-GMI et assure que « la situation est prise au sérieux ».

Des vérifications et des analyses ont été entreprises eu égard aux aspects de conformité légale ayant été soulevés. Le projet de développement du SI-GMI est prioritaire pour le MSSS et répond à un besoin important en matière de santé publique, en matière de vigie sanitaire.

Francis Martel, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux

Une source bien au fait du dossier qui a contacté La Presse convient que les responsables de la vigie sanitaire doivent pouvoir consulter l’ensemble des données sur les maladies à déclaration obligatoire. « Les gens bougent, parfois ils ont plus d’un domicile », dit cette personne, qui a requis l’anonymat pour protéger son emploi.

Selon cette source, le CIUSSS veut toutefois vérifier si le SI-GMI permet bien une « journalisation » efficace des accès aux renseignements personnels qu’il contient. En d’autres mots : est-ce que les responsables peuvent vérifier qui a accédé à quelles données médicales, à quel moment ?

Avis juridique

La Presse a obtenu l’extrait d’un avis juridique du CIUSSS qui, dès juin 2022, mentionnait que les directions de santé publique ne pouvaient pas utiliser le système « dans sa forme actuelle ». « Néanmoins, une telle utilisation serait légalement possible avec une version du SI-GMI permettant d’en gérer adéquatement les accès de chacun des acteurs », poursuit le texte.

À la Direction régionale de santé publique de Montréal, le porte-parole Jean-Nicolas Aubé assure que « la confidentialité et la protection de l’information [sont] l’un des éléments de considération importants parmi les différents aspects du projet ». « C’est d’ailleurs pour [nous] assurer que le processus et les mécanismes utilisés étaient conformes aux exigences de la loi que nous avons demandé un avis à notre contentieux », ajoute-t-il.

Le porte-parole ajoute que le CIUSSS a créé le SI-GMI « dans un environnement législatif en évolution ». Depuis son lancement en décembre 2020, Québec a modifié les lois concernant les renseignements médicaux. Les changements doivent renforcer l’obligation pour les organisations de santé de justifier l’accès à ces données et de savoir précisément qui les a consultées.

Système nécessaire ou « laxisme » ?

Le ministère de la Santé et des Services sociaux insiste sur la nécessité de colliger davantage d’informations sur les maladies infectieuses. Le SI-GMI est conçu pour répondre aux constats du Protecteur du citoyen qui, après la pandémie, a souligné des lacunes ayant nui à l’accès rapide aux informations épidémiologiques.

« Il a pour objet de détecter le plus précocement possible les menaces à la santé de la population et d’alerter les autorités de santé publique afin de mettre en place rapidement les interventions appropriées », écrit le porte-parole Francis Martel.

De l’avis de l’avocat spécialisé en responsabilité médicale Patrick Martin-Ménard, les problèmes du SI-GMI semblent symptomatiques d’un certain manque d’égards pour la protection des renseignements personnels dans le réseau de la santé.

Selon ce que vous rapportez, il semble y avoir eu un laxisme dans la mise en place de ce logiciel-là quant à la protection des renseignements personnels, comme ils sont censés le faire en vertu de la loi.

Me Patrick Martin-Ménard, spécialiste en responsabilité médicale

Au Conseil pour la protection des malades, le président, l’avocat Paul Brunet, ne voit pas pourquoi les autorités sanitaires doivent colliger autant de données sur les patients ayant contracté une infection à chlamydia, une gonorrhée ou toute autre maladie.

« On peut y aller par codes postaux ou par rues, dit-il. De cette façon, on est en mesure de savoir où vivent les gens. »

Lisez l’enquête « Confidentialité des dossiers de patients : des secrets médicaux bafoués » Lisez l’enquête « Secrets médicaux bafoués : “On a eu un haut-le-cœur” »

Une formation avec des données réelles

Des responsables de la transition vers le Système d’information de gestion des maladies infectieuses ont utilisé des données réelles sur une personne atteinte d’une infection transmise sexuellement dans le cadre d’une simple formation. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a confirmé cette information. La Presse l’a préalablement obtenue d’une source désirant conserver l’anonymat pour protéger son emploi.

« Ceci s’est produit à une seule occasion, lors de la première séance de formation auprès d’un groupe de personnel restreint qui avait déjà accès aux informations contenues dans la base, explique le porte-parole du CIUSSS, Jean-Nicolas Aubé. Le personnel concerné n’a eu accès à aucune information à laquelle il n’avait pas accès avant, via la base de données. Les formations suivantes ont été corrigées afin d’utiliser des cas fictifs, inspirés de la réalité. »

Selon un courriel que La Presse a obtenu, le responsable disait que les participants avaient signé des engagements de confidentialité et qu’ils pouvaient donc consulter les données dans le cadre de formations. La loi est pourtant claire : même le personnel autorisé doit avoir une raison clinique, une justification liée à une enquête épidémiologique ou le consentement du patient pour consulter ses données médicales.

En savoir plus
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    Nombre de cas d’infections à chlamydia déclarés au Québec en 2021, en baisse de 15 % depuis 2017
    source : Institut national de santé publique du Québec
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    Nombre de cas déclarés au Québec de la maladie de Lyme – autre maladie à déclaration obligatoire – entre le 1er janvier et le 19 août 2023
    source : ministère de la Santé et des Services sociaux