La numérisation des dossiers de santé n’a pas que des avantages ; comme ceux-ci se trouvent dans le nuage, il existe un risque que les données sensibles qu’ils contiennent se retrouvent entre de mauvaises mains. Pour contourner cet obstacle, une équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke (UdeS) et de l’École de technologie supérieure (ETS) a développé une solution qui rendra la transmission et l’archivage des renseignements médicaux plus sécuritaires.

L’intelligence artificielle est utilisée pour analyser différentes données médicales, poser des diagnostics et même effectuer le suivi de certains traitements. Elle pourrait donc aussi servir à crypter et décrypter des renseignements confidentiels, estime l’équipe à laquelle appartient le professeur Pierre-Marc Jodoin, de la Faculté des sciences informatiques de l’UdeS.

« On s’est demandé d’où de futures attaques contre les systèmes informatiques pourraient survenir, explique-t-il en entrevue avec La Presse Canadienne. Et (un de nos constats), c’est que quand nos données sont stockées dans le nuage, elles ne sont pas protégées. »

Les travaux de l’équipe sont fondés sur le fruit des recherches d’un ancien étudiant au doctorat dirigé par le professeur Jodoin.

Ils consistent essentiellement à entraîner deux systèmes d’intelligence artificielle, appelés « réseaux de neurones », à crypter des données médicales, pour les rendre incompréhensibles par un être humain.

« On a un premier réseau qui va déstructurer les données pour leur permettre de sortir du cadre sécuritaire de l’hôpital ou de la clinique vers un serveur, explique le chercheur. Quand elles auront été traitées, un deuxième réseau va produire un rapport qui sera aussi incompréhensible, et va l’envoyer au clinicien. Celui-ci va disposer du réseau de neurones qui pourra faire sens de ces données-là et permettre leur interprétation par le soignant. »

Essentiellement, l’intelligence artificielle développera un code secret qui permettra de brouiller les informations et de les rendre inutilisables pour quiconque n’en détient pas la clé.

De plus, les récentes avancées en intelligence artificielle ont ouvert un monde de possibilités pour le traitement des images.

Les chercheurs ont débuté leurs tests avec de l’imagerie médicale présentant des cerveaux humains.

« Chaque cerveau est unique et présente une signature particulière, un peu comme une empreinte digitale, explique M. Jodoin. C’est pour ça qu’on a pris ces données-là. »

Une portée à élargir

Les recherches de l’équipe ont notamment été présentées en juin dans le cadre d’une conférence ayant eu lieu en Argentine, où elles ont reçu un accueil enthousiaste.

Désormais, l’équipe souhaiterait tester le modèle à plus grande échelle pour en valider l’efficacité.

« On a eu accès à des données de cerveau d’environ 500 sujets, indique M. Jodoin. Pour emmener ça à un autre niveau, il faudrait le tester sur des données publiques de plusieurs dizaines de milliers de patients, ce qui n’est pas évident, car il n’y a pas beaucoup de bases de données de cette envergure.

« On voudrait aussi la tester sur d’autres (types de données), comme des CT scans, des rayons X, des imageries ultrasonores, des échographies et de l’imagerie médicale d’autres parties du corps, énumère le professeur. On est (persuadés) que la technologie va fonctionner tout aussi bien. »

Il faudra toutefois être patient avant de voir cette solution appliquée dans des établissements de santé, que ce soit ici ou ailleurs dans le monde.

« Nous, on fait la recherche, précise Pierre-Marc Jodoin. Est-ce qu’un jour, une compagnie privée serait intéressée à prendre la technologie, à (se l’approprier) et à ensuite passer par un long processus d’homologation pour la commercialiser ? Ça pourrait prendre encore quelques années. »