(Québec) Québec s’en remet à l’Autorité des marchés publics (AMP) pour déterminer s’il doit y avoir enquête sur les allégations d’« irrégularités majeures » qui auraient été commises par des agences de placement de personnel du secteur de la santé. Pour les partis d’opposition, une enquête est nécessaire et doit être exigée par le gouvernement.

Comme La Presse l’a révélé jeudi, la plus importante association d’agences privées de placement dans le secteur de la santé a destitué deux de ses administrateurs, qu’elle soupçonne d’avoir commis des « irrégularités majeures » dans le cadre d’un appel d’offres mammouth attribué récemment par le gouvernement Legault. Une enquête interne a été déclenchée. Les entreprises visées par les allégations d’irrégularités démentent fermement s’être entendues pour fixer des prix.

Le contrat gouvernemental d’une envergure sans précédent, attribué récemment à près de 100 agences de placement, vise à combler des besoins estimés à plus de huit millions d’heures de travail par année dans le réseau de la santé, notamment pour des infirmières et des préposés aux bénéficiaires. C’est l’équivalent de plus de 4500 travailleurs à temps plein sur une année complète.

Le responsable de cet appel d’offres est le Centre d’acquisitions gouvernementales (CAG). L’Autorité des marchés publics (AMP), qui a le mandat de surveiller l’attribution des contrats publics au Québec, dit avoir reçu une dénonciation au sujet de ces allégations et être à l’étape de « l’analyse du dossier ».

Ces deux organismes relèvent de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. « On parle d’allégations présentement. Je pense qu’il y a de quoi analyser. C’est ce que l’AMP fait présentement », a-t-elle soutenu lors d’une mêlée de presse au parlement.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE, ARCHIVES LA PRESSE

Sonia LeBel

Selon elle, « c’est à l’AMP de décider si elle doit faire une enquête ou non. Je n’ai pas à lui en demander une, elle a tous les pouvoirs pour se saisir de l’affaire […]. Elle peut même déléguer ou transmettre des informations à d’autres entités d’enquête comme le Bureau de la concurrence ».

Les trois partis de l’opposition croient que le gouvernement doit demander une enquête formelle.

« Quand l’association des agences de placement elle-même se rend compte qu’il y a peut-être quelque chose qui ne fonctionne pas, ce n’est pas une mauvaise idée du tout que l’AMP se penche sur cette question-là », a affirmé le porte-parole libéral en matière de santé, André Fortin.

Pour Vincent Marissal, de Québec solidaire, « ça prend minimalement une enquête » de l’AMP, alors que le Vérificateur général devrait aussi s’en mêler.

« Le gouvernement a créé un monstre, il l’a engraissé, il a mis un paquet de fric avec un méga-appel d’offres sur la table, et il n’a pas mis les balises nécessaires pour s’assurer qu’il n’y ait pas de ça (des irrégularités, NDLR). Sans surprise, évidemment, des rapaces se sont servis. Est-ce qu’il y a eu collusion ? Ils vont devoir montrer patte blanche. »

Le Parti québécois croit qu’il est « impératif de faire enquête » au sujet « des soupçons sérieux de collusion », d’autant plus que l’État verse des « centaines de millions de dollars » par année aux agences de placement pour des infirmières et des préposés aux bénéficiaires notamment. Son député Joël Arseneau dit constater que « certaines agences ou certaines personnes des agences peuvent être tentées, par cupidité, de trafiquer les appels d’offres ou de jouer avec le système ».

« Je pense qu’il faut faire la lumière là-dessus, parce que vous regardez les tarifs [des agences], ils sont, dans bien des cas, le double du plafond qui avait été imposé par le gouvernement pendant la période de la pandémie. Visiblement, il y a des gens qui, par l’appât du gain, veulent faire monter les prix, et avec des pratiques douteuses. Donc, tous les moyens doivent être mis en place pour nous assurer que la gestion des agences de placement soit faite dans la plus grande intégrité », a-t-il ajouté.

De son côté, le ministre de la Santé, Christian Dubé, est du même avis que sa collègue Sonia LeBel et considère que l’AMP « doit voir s’il y a matière à enquête ».

« Sous réserve de savoir ce qui s’est vraiment passé, si on a payé trop cher, c’est sûr que ça m’inquiète. Mais je vous rappelle en même temps que ce n’est pas pour rien qu’on a fait adopter le projet de loi 10, on savait qu’on devait trouver un meilleur encadrement » pour les agences de placement. L’objectif du gouvernement est d’éliminer le recours aux agences d’ici 2026.

Le ministre présentera dans les prochaines semaines un projet de règlement pour réinstaurer un plafond aux tarifs des agences. Les agences ayant soumis dans l’appel d’offres un taux horaire qui s’avérera plus élevé que ce futur plafond seront disqualifiées de faire affaire avec l’État, a dit Christian Dubé.

Avec Tristan Péloquin et Hugo Pilon-Larose