Un projet de centre médical spécialisé qui permettra à terme d’effectuer plus de 16 interventions chirurgicales et 28 endoscopies par jour sur des patients du réseau public de la santé attend depuis plus d’un an et demi d’obtenir son permis du ministère de la Santé. Devant ces longs délais, les travaux de construction de la vaste bâtisse de 30 000 pieds carrés située à Saint-Jérôme ont été mis sur la glace.

Seule une poignée de travailleurs de la construction s’affairaient lundi dans l’immeuble de trois étages, construit à un jet de pierre de l’hôpital de Saint-Jérôme. « On a commencé, mais on a arrêté le chantier », dit le DAntoine Turcotte, chirurgien orthopédique à Saint-Jérôme impliqué dans le projet avec ses collègues, le DPatrice Makinen et le DMathieu Carrier.

La semaine dernière, le ministre de la Santé, Christian Dubé, montrait des signes d’impatience devant des listes d’attente en chirurgie qui ne diminuent pas au Québec depuis la pandémie. En date du 31 décembre, 20 649 personnes attendaient depuis plus de 12 mois d’être opérées. Ce niveau était à environ 3000 avant la crise sanitaire. « Je ne peux pas opérer pour eux », a dit le ministre la semaine dernière en parlant des chirurgiens.

Cette affirmation a fait sursauter les orthopédistes de Saint-Jérôme. « On travaille fort depuis un an et demi à faire ce projet. Mais on attend toujours. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le DAntoine Turcotte et le DPatrice Makinen

On est au rendez-vous. Mais on ne peut pas délivrer notre propre permis.

Le DAntoine Turcotte, chirurgien orthopédique

« Il y a un nœud dans le système. Mais où ? On ne sait pas », a dit le DTurcotte.

Plus de services

Au cours des dernières années, plusieurs projets ont été mis de l’avant dans les Laurentides afin de maximiser le nombre d’opérations pouvant être réalisées dans les installations publiques du réseau, de Mont-Laurier à Saint-Eustache, assure le DMakinen. « On a optimisé les plateaux techniques de la région avant de penser faire un CMS [centre médical spécialisé] », dit-il.

La pandémie a sérieusement limité le volume d’opérations pouvant être réalisées. Les listes d’attente ont explosé.

Actuellement, 10 113 patients sont en attente d’une opération dans les Laurentides, dont 1514 depuis plus d’un an. Avant la pandémie, la liste d’attente comptait 7000 noms, dont seulement 30 attendaient depuis plus d’un an.

En septembre 2021, le CISSS des Laurentides a diffusé un avis d’intention pour mettre sur pied un CMS. L’établissement, géré par le privé mais recevant des patients du public, devait réaliser des interventions orthopédiques, bariatriques et générales, en plus d’effectuer des endoscopies en attendant la fin des travaux d’agrandissement de l’hôpital de Saint-Jérôme, prévus d’ici la fin de 2028.

Peu après, le projet de CMS de Saint-Jérôme a reçu un avis favorable du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et la construction a été lancée. Les médecins impliqués dans le projet ont formulé une demande pour obtenir un permis officiel de CMS auprès du MSSS il y a un an et demi. Mais depuis : rien. « Les besoins sont là. On les voit tous les jours », dit le DMakinen.

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) confirme que certains de ses membres « se plaignent des délais d’octroi de permis » de CMS. L’organisme assure que des médecins spécialistes seront toujours présents pour travailler dans les blocs opératoires du réseau public, mais croit que les CMS font partie de la solution pour accélérer le rattrapage en chirurgie.

Un manque d’infirmières

Depuis le début de la pandémie, une vingtaine de CMS ont signé des ententes avec le gouvernement pour opérer des patients. Ces ententes permettent la réalisation d’environ 80 000 procédures par année.

Mais en novembre 2021, Radio-Canada indiquait la volonté du gouvernement de mettre un frein au développement de nouveaux CMS dans l’espoir de conserver le plus possible d’infirmières dans le réseau public. Le projet de Saint-Jérôme devait toutefois être exclu de ce moratoire.

Reste que la pénurie de personnel infirmier est importante dans les Laurentides comme dans plusieurs régions du Québec. Sur les dix salles d’opération de l’hôpital de Saint-Jérôme, sept seulement sont actuellement ouvertes.

En ouvrant leur CMS, les médecins de Saint-Jérôme ne risquent-ils pas de cannibaliser les ressources du réseau public déjà hypothéqué ?

CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le DAntoine Turcotte et Le DPatrice Makinen

C’est un projet conjoint. On ne veut pas voler le personnel de l’hôpital. On y opère nous-mêmes ! On se joint à l’hôpital.

Le DPatrice Makinen

Le DPatrice Makinen explique vouloir recruter les travailleurs de la santé « qui ne veulent plus travailler à l’hôpital pour différentes raisons ». Ou des retraités.

Le DTurcotte rappelle que seuls les cas moins complexes peuvent être opérés dans un CMS. Avec les listes d’attente actuelles, ces patients sont souvent parmi ceux qui patientent le plus longtemps pour passer sous le bistouri. Les orthopédistes de Saint-Jérôme déplorent de devoir chaque jour repousser la date d’opération de plusieurs de leurs patients, souvent jugés moins prioritaires que des cas d’oncologie ou de trauma, par exemple. « On nous demande de faire plus. On le fait. Mais ça stagne. On aimerait que ça bouge », dit le DMakinen.

Au MSSS, on indique que les retards de traitement dans les demandes de permis de CMS sont « notamment liés à la pandémie et à l’ensemble des répercussions y étant associées ». « Comme l’émission de permis peut avoir un impact direct sur le réseau, notamment en termes de migration du personnel et de disponibilité médicale, le MSSS s’est assuré que la situation soit stable avant de commencer à délivrer de nouveaux permis », indique la porte-parole Marie-Claude Lacasse, qui assure que « tous les CMS ayant fait une demande de permis devraient recevoir une réponse dans les prochaines semaines ».

Au cabinet du ministre Dubé, on affirme que les CMS « font partie de la solution » et l’on « souhaite les utiliser davantage et pérenniser nos ententes avec eux ».

« On doit octroyer plus rapidement des permis, particulièrement pour les cliniques qui se spécialisent dans les chirurgies dont les besoins sont les plus importants, indique l’attaché de presse du ministre, Antoine de la Durantaye. Si des CMS respectent les critères et sont prêts à contribuer, on est prêts à les entendre et à travailler avec eux. »