Le litige entre les cliniques privées et le gouvernement du Québec concernant la « loi 73 », assurant la gratuité d’un cycle de fécondation in vitro (FIV), se poursuit depuis novembre. Une clinique s’est même retirée de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

La clinique Fertilys, située à Laval, a annoncé qu’elle se désaffiliait de la RAMQ le 12 janvier. Elle avait déjà cessé d’offrir des services aux femmes admissibles au nouveau programme du gouvernement, depuis novembre.

« Ceci signifie qu’à compter de ce moment, les patients auront accès à tous les services offerts chez Fertilys, en autant qu’ils acceptent d’en acquitter tous les frais, sans pouvoir obtenir de remboursement de la RAMQ. Ils auront toutefois toujours accès au crédit d’impôt remboursable », a affirmé le DPierre Miron, président de Fertilys, dans une vidéo publiée sur la page Facebook de la clinique.

C’est « un programme mal ficelé, sans avoir suffisamment consulté les principaux intéressés et, surtout, sans avoir conclu d’ententes de financement avec les centres privés », a plaidé le DMiron.

Pamela Fabios, patiente chez Fertilys, a pris la décision de payer tous ses soins à partir de maintenant. « Je n’ai pas le temps, à cause de mon âge, 37 ans, de me mettre sur les listes d’attente des cliniques publiques », a-t-elle souligné. « Nous puiserons dans nos économies, et nous paierons les sommes nécessaires », a-t-elle poursuivi.

Mme Fabios confie que le litige entre le gouvernement et les cliniques de fertilité a suscité beaucoup d’angoisse. Elle ne souhaitait pas changer de lieu de traitement, puisque les interventions pratiquées en procréation assistée sont invasives.

« Quand on est dans un processus en fertilité, on se met à nu devant des gens qu’on ne connaît pas. On a plusieurs échographies intravaginales par mois. C’est quand même des interventions qui sont gênantes, puis on développe un lien de confiance avec l’équipe qui nous traite », a-t-elle expliqué, en entrevue avec La Presse.

« Personnellement, je trouve ça très dommage [que Fertilys] se retire de la RAMQ, indique Céline Braun, présidente de l’Association infertilité Québec. Ce sont des patients qui se trouvent [placés] devant un autre choix, encore une fois. C’est soit je paie, soit je pars ailleurs. »

J’aimerais ça, vraiment, que ça se règle au plus vite pour les patientes. Au moins que les services reprennent.

Céline Braun, présidente de l’Association infertilité Québec

Simultanément, les opérations des cliniques Ovo, à Montréal, et Procrea, à Québec, sont toujours suspendues pour ce type de patientes. Ces trois cliniques accueillent 70 % des personnes infertiles de la province souhaitant avoir un enfant.

Une question d’argent

Le 10 novembre dernier, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, avait annoncé que la loi 73 entrerait en vigueur le 15 novembre.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Plaidant d’abord un manque d’informations pour mettre en place le programme, les trois cliniques privées (Fertiltys, Ovo et Procrea) ont ensuite fait valoir que Québec ne remboursait pas une somme suffisante pour couvrir les frais d’un cycle de FIV. Le gouvernement offre 3905 $, et les cliniques réclament plutôt 7600 $, a souligné Sarah Bigras, attachée de presse du ministre Carmant.

« Le ministre a dit qu’il était prêt à mettre de l’eau dans son vin mais il souhaite la reprise des services. On souhaite régler rapidement le dossier pour éviter des attentes inutiles, du stress et de l’angoisse chez la clientèle qui souhaite obtenir des services », a affirmé Sarah Bigras.

Ainsi, depuis novembre, Mme Paquet, qui n’a pas voulu dévoiler son réel prénom en raison de l’emploi qu’elle occupe, n’a pu recevoir de traitements à la clinique Procrea.

Ce qui me cause du stress, c’est que j’ai 40 ans et quelques mois, puis je sais que chaque mois, mon corps vieillit, puis que j’ai de moins en moins de chances d’avoir de bons ovules.

Mme Paquet, en entrevue avec La Presse

Elle a dû prendre des hormones en prévision du processus de procréation assistée, et a subi plusieurs effets secondaires. « Puis là, j’ai vécu le contraire. Ça veut dire que mon corps a eu de la misère à ne plus avoir les hormones », dit-elle. « C’est rough physiquement aussi », a ajouté Mme Paquet.

Les cliniques Procrea et Ovo n’ont pas annoncé leur retrait de la RAMQ, comme Fertilys l’a fait. Ces deux cliniques pourraient-elles prendre le même virage ?

Quand une clinique se retire de la RAMQ, chaque médecin qui y exerce doit faire de même individuellement, explique Céline Braun. Ainsi, un professionnel qui travaille dans une clinique privée et dans un hôpital qui prend la décision de se retirer de la RAMQ ne pourrait plus travailler à l’hôpital, qui appartient au secteur public.

« Ça arrive fréquemment chez Ovo [et] Procrea que vous ayez le même médecin qui opère autant à la clinique privée qu’au public », a-t-elle précisé, en soulignant qu’elle ne savait pas quelle décision prendraient les établissements.

Le programme de procréation médicalement assistée du gouvernement rembourse un seul cycle de fécondation in vitro, qui peut comprendre deux stimulations ovariennes, une ponction ovarienne, une paillette de sperme d’un donneur, un prélèvement chirurgical de spermatozoïdes, la congélation et l’entreposage des embryons supplémentaires pendant un an, ainsi que le transfert de chaque embryon.

Depuis l’adoption du programme, Québec couvre aussi d’autres services pour les femmes ou les couples qui n’ont pas recours à la fécondation in vitro pour donner naissance, dont la stimulation ovarienne et un maximum de six paillettes de sperme provenant d’une banque de donneurs.

Une nouvelle loi « discriminatoire », pour certaines

Les traitements en fertilité de Marie-Ève Ouellet n’ont, quant à eux, pas été arrêtés. Toutefois, comme elle est âgée de 41 ans, elle ne peut avoir accès au programme de gratuité du gouvernement, qui couvre les femmes de moins de 41 ans. Cette clause est « discriminatoire », selon Mme Ouellet.

« Il faut avoir les reins solides financièrement parlant », a-t-elle affirmé. Selon elle, le programme engendre ainsi une « perte d’accessibilité » au service.

Avant la mise en place de la nouvelle loi, elle était suivie au Centre hospitalier de l’Université Laval. Elle a dû transférer son dossier chez Procrea, ce qui lui a fait manquer un cycle d’ovulation.

L’Association des fertologues du Québec n’a pas répondu aux questions de La Presse vendredi.