Près de 1000 quarts de travail ont été effectués en heures supplémentaires obligatoires dans l’est de la Montérégie en 2019, a appris La Presse. Même si le gouvernement dispose désormais de données permettant de documenter le phénomène pour l’ensemble du Québec, il refuse de les divulguer pour l’instant, prétextant les négociations en cours avec les syndicats de la fonction publique.

Président par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Est, Alexandre Bégin a compilé manuellement le nombre de quarts de travail réalisés en temps supplémentaire obligatoire (TSO) dans les établissements de son territoire l’an dernier. Il a été étonné de voir qu’entre le 3 février et le 31 décembre 2019, 975 quarts de travail en heures supplémentaires obligatoires ont été effectués. « Cette mesure [le TSO] est censée être exceptionnelle. À 975, ce n’est pas exceptionnel », dit M. Bégin.

Ce dernier mentionne qu’à ces heures supplémentaires obligatoires, il faut ajouter plus de 3000 quarts de travail en heures supplémentaires volontaires. « En gros, le réseau de la santé fonctionne sur le temps supplémentaire », dénonce-t-il.

Moins de 1 % des quarts de travail

Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est, on affirme que 970 quarts de travail ont été réalisés en TSO du 1er avril 2019 au 23 janvier 2020, sur un total de 98 500 quarts de travail. « Ce sont donc 0,98 % des quarts de travail qui se font en TSO jusqu’à maintenant pour l’année 2019-2020 », explique le porte-parole de l’établissement, Hugo Bourgoin.

La Presse a demandé à différents établissements de santé du Québec de lui fournir le nombre de quarts de travail réalisés en TSO pour 2019. Chez la dizaine d’établissements ayant répondu, le nombre d’heures travaillées en TSO représente moins de 2 % du total des heures travaillées.

M. Bégin juge « décourageant de voir que le réseau de la santé minimise le recours au TSO ». Selon sa compilation, 130 quarts de travail en heures supplémentaires obligatoires ont été réalisés en 2019 uniquement aux urgences de l’hôpital Pierre-Boucher à Longueuil. « Ça fait quand même un quart de TSO par trois jours », dit-il.

Au CISSS de la Montérégie-Est, on dit être aux prises, comme l’ensemble du réseau de la santé, avec une pénurie de personnel. On affirme que différentes mesures ont été mises en place pour accélérer les embauches, dont des journées de blitz de recrutement.

Professeure agrégée à l’École nationale d’administration publique, Nancy Brassard estime pour sa part qu’il n’y a pas de pénurie de personnel dans le réseau de la santé. « Quand on fait des appels de candidatures, on reçoit des CV », dit-elle. Pour Mme Brassard, c’est « l’incapacité de nos organisations publiques à attirer, à retenir et à fidéliser les employés » qui a généré cette « fausse pénurie de main-d’œuvre ».

« Manque de transparence » 

En avril dernier, la ministre de la Santé, Danielle McCann, a demandé aux établissements de santé de la province de documenter les heures supplémentaires obligatoires. Avant cette date, les établissements ne disposaient pas de données à ce sujet.

Au MSSS, on confirme que les établissements compilent désormais manuellement ces données et les transmettent à Québec « aux fins d’analyse des tendances reliées à l’utilisation du temps supplémentaire obligatoire ». Questionné à savoir combien de quarts de travail en TSO ont été réalisés dans le réseau en 2019, le MSSS répond qu’il est en train de « faire une validation et une analyse plus exhaustive des données, afin de s’assurer de disposer de données probantes ».

Le MSSS a refusé de transmettre ces données à La Presse, sous prétexte que Québec est actuellement en négociations avec les syndicats.

Vice-présidente et coresponsable des relations de travail à la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Nathalie Lévesque critique le « manque de transparence » de Québec dans le dossier. Selon elle, le TSO est « encore un mode de gestion partout au Québec alors que c’est supposé être une mesure d’exception ».

Pour Mme Lévesque, dire que le TSO ne représente qu’un faible pourcentage des heures travaillées ne traduit qu’une partie de la réalité. Car selon elle, plusieurs travailleurs se forcent à faire des heures supplémentaires volontaires afin d’éviter de faire du TSO. Mme Lévesque ajoute que des établissements ne remplacent tout simplement pas certains travailleurs absents afin d’éviter les heures supplémentaires obligatoires, augmentant du coup la charge de travail de ceux en poste. Mme Lévesque qualifie le TSO de « violence organisationnelle ». « C’est dangereux pour les patients, pour les professionnels, et c’est inhumain », dit-elle.