«Je suis énormément troublée.» C'est ce que nous a répondu une jeune mère dont le fils est né l'automne dernier d'une mère porteuse. Les démarches d'adoption pour qu'elle devienne officiellement la mère de son fils devaient être achevées à l'été. Le jugement DuBois vient peut-être de bouleverser ses plans.

Les forums de discussion sur l'infertilité sur l'internet sont pleins d'appels de couples désespérés de trouver une femme qui portera leur enfant. Pour un message d'une mère porteuse potentielle, 10 femmes infertiles la supplient d'entrer en contact avec elles.

 

«Sur l'internet, on peut tout acheter, même un bébé», note Louise Langevin, professeur à la faculté de droit de l'Université Laval et titulaire de la chaire d'études Claire Bonenfant sur la condition des femmes. «On parle ici de marchandisation des bébés et du corps des femmes. Quelle femme de quel milieu va avoir le temps de faire un enfant pour d'autres? On ne fait pas un enfant comme on fait pousser des tomates!»

Altruisme? Louise Langevin n'y croit pas. «Dans ce cas-ci, le couple a payé 20 000$. Est-ce à dire qu'un bébé, ça vaut 20 000$?»

Une femme infertile que nous avons contactée a lancé des appels sur plusieurs forums de discussion depuis quelque temps, sans avoir encore trouvé la bonne personne. «L'altruisme est une denrée rare», a-t-elle expliqué.

La loi fédérale indique que s'il est interdit de payer une mère porteuse, ses dépenses peuvent être remboursées. Mais jusqu'à quel point? Carmen Lavallée, professeure de droit à l'Université de Sherbrooke, note que la somme versée est importante. «Ne serait-ce pas au-delà des dépenses réellement encourues? On peut avoir des doutes sur le caractère purement altruiste de la mère porteuse.»

Cynthia, elle, affirme pourtant que c'est ce qui l'a poussée à offrir son ventre à un couple gai désireux d'avoir un enfant. «Je voulais un troisième enfant, mais mon conjoint et moi ne sommes pas prêts. J'aime porter la vie», dit-elle.

Elle a rencontré trois couples avant d'arrêter son choix. Elle recevra en tout 12 000$ - une somme supérieure à ce qu'elle avait demandé, précise-t-elle, pour couvrir les frais de vêtements, médicaments, et une compensation pour les quelques semaines de travail manqué. Craint-elle de laisser aller le bébé après la grossesse? «C'est sûr, je vais l'aimer quand il sera dans mon ventre, je le sentirai bouger. Mais on s'est entendus pour que les parents m'envoient des photos et me donnent des nouvelles de l'enfant.»

L'intérêt de l'enfant et la loi

Impossible de savoir combien d'enfants naissent chaque année d'une mère porteuse au Québec. Mais devant cette réalité, l'Association du jeune barreau de Montréal en appelle au débat public. «On encourage les gens à mentir à la Cour», déplore le président, Philippe Tessier. Sa collègue Josiane Chrétien songe au sort réservé au parent non reconnu. «Imaginez les chicanes de couple potentielles! J'espère que c'est un couple uni parce que la femme est maintenant vulnérable à un chantage.»

La question des mères porteuses n'est pas simple, notamment sur les droits des enfants qui naissent. Par exemple, les enfants adoptés peuvent généralement retrouver leurs parents biologiques - ou du moins leur mère biologique. Leur identité est connue du Directeur de l'état civil. Mais une mère porteuse ne laisse aucune trace. «Est-ce dans l'intérêt de l'enfant? demande Michel Tétrault. Je ne pense pas.»

Sans parler des questions éthiques délicates liées aux contrats de mère porteuse, dit Louise Langevin. «Qu'est-ce qu'on fait avec un produit imparfait? Ou si la mère porteuse veut garder le bébé? Ou si ce sont des jumeaux alors qu'on en voulait un seul? Si les choses ne roulent pas rond, il y a quand même un bébé au bout du compte. Ce n'est pas pour rien que c'est interdit au Québec.»