Radio-Canada vient de remettre le prix du Scientifique de l'année 2011 au Dr Jacques Pépin, professeur titulaire et directeur du service d'infectiologie de l'Université de Sherbrooke. Avec son livre The Origins of AIDS, publié en 2011 aux Presses de l'Université de Cambridge, le Dr Pépin a su montrer comment le VIH s'est malheureusement propagé en Afrique, en Haïti, puis en Occident, grâce à d'incroyables concours de circonstances. Afin de souligner ce travail de recherche, tout aussi minutieux que colossal, La Presse et Radio-Canada lui décernent le titre de la Personnalité de la semaine.

Le Dr Jacques Pépin a commencé sa carrière de médecin généraliste au Zaïre, au début des années 80. Et il fait de la recherche clinique et épidémiologique depuis 1984. Il s'est intéressé très rapidement à la maladie du sommeil (la trypanosomiase humaine africaine à T.b. gambiense). Le Dr Pépin a d'ailleurs écrit le chapitre consacré à cette maladie dans plusieurs livres de référence sur les maladies tropicales. Pendant plus de 15 ans, il a réalisé des travaux de recherche et des interventions de santé publique pour réduire la transmission du virus du VIH, chez les peuples africains.

Grâce à ses mêmes travaux, il a su démontrer que la maladie du sommeil avait grandement contribué à la diffusion du VIH. Comment? Le traitement comportait des injections intraveineuses, et faute de moyens et de connaissances, les seringues étaient bien souvent réutilisées plusieurs fois. Paradoxalement, les campagnes d'injections massives visant à améliorer le sort des peuples touchés ont accéléré le déclenchement de l'une des pires pandémies des temps modernes. Mais ce n'est pas la seule cause, évidemment. «La prostitution a aussi joué un rôle important», souligne le Dr Pépin. Quand les pays africains ont acquis leur indépendance, les prostituées ont dû augmenter dramatiquement le nombre de leurs clients pour survivre. «Avant, elles avaient trois ou quatre clients réguliers par année. Mais après 1960, elles pouvaient avoir de trois à quatre clients par jour», raconte-t-il.

En poussant ces recherches, le Dr Pépin a pu assembler tous les morceaux du casse-tête pour nous livrer l'histoire du VIH, de ses origines jusqu'à aujourd'hui. Des analyses génétiques suggèrent même que la pandémie remonte à une seule infection; approximativement autour des années 20. Un humain qui aurait été contaminé par une bête. «Probablement un chasseur ou un boucher, qui dépeçait l'animal», précise-t-il.

Tirer des leçons

Le Dr Jacques Pépin a mis plusieurs années à rédiger son livre. Une écriture à temps partiel, entre les cours et la supervision d'étudiants en médecine. Et ses enquêtes lui ont aussi demandé un temps fou. Il y a eu celles sur le terrain en Afrique. Des recherches épidémiologiques menées en prélevant des échantillons de sang sur la population. Mais il y a eu aussi celles plus historiques qui l'ont conduit, entre autres, en Belgique et en France, où il a consulté les registres des interventions médicales sous la période coloniale. C'est là qu'il a aussi trouvé d'autres informations sur le développement des villes et sur l'évolution du milieu de la prostitution. Bref, d'autres morceaux du puzzle qu'il a fallu assembler par la suite.

Question d'être lu par l'ensemble du corps médical nord-américain et européen, Jacques Pépin n'a rédigé son livre qu'en anglais. «Mais je n'ai pas mis une croix sur une version française», ajoute-t-il. Le médecin avoue même qu'il caresse le projet de réécrire lui-même une version différente en français avec plus d'anecdotes. «J'aimerais bien en faire un livre pour le grand public. Mais c'est un projet à très long terme», précise-t-il.

Comprendre l'historique de la pandémie du VIH ne nous rapproche pas de l'éradication de la maladie. Mais le Dr Pépin espère que son livre aidera à tirer des leçons qui seront utiles pour l'avenir. «Quand les médecins et les scientifiques décident de jouer avec la nature, ça peut être très dangereux. Il faut être très prudent et plus humble», avoue-t-il. Jacques Pépin cite en exemple cette équipe de chercheurs qui, en décembre dernier, a réussi à rendre le virus de la grippe aviaire facilement transmissible entre humains. «Il suffirait d'une toute petite erreur dans le laboratoire pour que...», conclut-il.