Médecins, cuisiniers, architectes, logisticiens... Une armée d'humanitaires québécois est à Haïti depuis deux semaines. Plusieurs sont des vétérans de ce genre de mission. D'autres y vivent une première expérience. Et tous sont ébranlés par l'ampleur de la tragédie.

En 2004, lors du passage de l'ouragan Jeanne à Haïti, la Croix-Rouge norvégienne est arrivée avec son hôpital de campagne aux Gonaïves. Mais assez vite, malgré les centaines de milliers de dollars d'équipement dans leurs bagages, les Norvégiens se sont rendu compte qu'il leur manquait un élément crucial dans leur intervention: la compréhension de la langue.

«C'est comme ça qu'ils ont recruté des Québécois», raconte au bout du relais satellite le Dr Sylvain Couture, coordonnateur médical de l'hôpital de campagne des Croix-Rouge norvégienne et canadienne, installé à Port-au-Prince.

Le Dr Couture et le Dr Vincent Echavé, de l'Université de Sherbrooke, font partie des centaines d'humanitaires québécois à s'être précipités au secours d'Haïti au lendemain du séisme du 12 janvier. Qu'ils soient à distribuer du riz, à réparer des os brisés, à enseigner à des sinistrés comment purifier de l'eau, à évaluer des maisons fissurées, ils sont partout. C'est pourquoi La Presse et Radio-Canada ont choisi de souligner le travail de tous les humanitaires québécois sur le terrain à Haïti, et particulièrement celui des médecins Couture et Echavé, en les nommant Personnalités de la semaine.

Des blessures très graves

À quelques kilomètres de la capitale où travaille le Dr Couture, le Dr Vincent Echavé et son équipe de l'Université de Sherbrooke pratiquent de six à huit opérations par jour à l'hôpital Albert-Schweitzer de Deschapelles. Le Dr Echavé, spécialiste de la chirurgie thoracique, n'en est pas à sa première mission humanitaire. Il était notamment en Asie après le tsunami de 2004. «Les blessures après un tremblement de terre sont pires. Après un tsunami, les victimes sont soit mortes, soit légèrement blessées. Ici, ce sont des blessures très graves.»

Alors que plusieurs blessés ont dû être amputés dans les hôpitaux mal équipés de Port-au-Prince, l'équipe du Dr Echavé, spécialisée en chirurgie orthopédique, a pu réparer plusieurs membres brisés grâce au matériel qu'elle a apporté du Québec (vis, clous, plaques de métal). L'hôpital Albert-Schweitzer est également équipé pour faire des radiographies. Il manque par contre cruellement de personnel infirmier.

Des gens plutôt que de l'équipement

Plusieurs humanitaires québécois en sont à leur première mission, dit le Dr Couture. Pas lui. Depuis sa première affectation en Afghanistan en 2001 avec Médecins du monde, le médecin fait environ deux missions par année. Il s'est rendu en Indonésie puis à Haïti avant d'être recruté par la Croix-Rouge, qui l'a envoyé notamment au Pakistan pour y faire la formation du personnel de la section locale. «Chaque fois, on laisse l'équipement apporté sur place et on forme du personnel de la santé.»

Pourquoi la Croix-Rouge? Sylvain Couture précise qu'il s'entendait bien avec l'organisation Médecins du monde quand il en faisait partie. Par contre, les valeurs véhiculées par la Croix-Rouge correspondent mieux aux siennes, dit-il. «La neutralité, l'impartialité, l'indépendance de la Croix-Rouge font qu'elle est présente dans des endroits où personne d'autre ne peut aller», dit-il.

Médecins sans frontières et, plus tard, Médecins du monde ont notamment été fondés par des anciens de la Croix-Rouge qui disaient ne plus vouloir être silencieux devant certaines situations inacceptables. Sylvain Couture croit que les deux visions peuvent coexister. «Il faut qu'il y ait des gens qui dénoncent, et d'autres qui restent neutres.»

Le bon humanitaire, et le moins bon

Environ tout ce que le Québec compte d'organismes humanitaires internationaux se trouve à Haïti. Oxfam, par exemple, intervient en matière d'hygiène et d'assainissement de l'eau. Le Centre d'étude et de coopération internationale (CECI) distribue des trousses de première nécessité. Les Architectes de l'urgence ont examiné des structures de bâtiments pour en ordonner la condamnation ou non. Même Cuisiniers sans frontières est sur place pour monter une cuisine d'urgence.

Plusieurs autres Québécois, touchés par le drame, prennent contact avec les organismes pour offrir leurs bras. Mais avant d'être envoyé dans une mission aussi cruciale, une préparation adéquate est impérative, dit le Dr Couture. «Il faut savoir à quoi s'attendre. Les gens chez nous dont c'est la première mission sont intégrés avec des gens d'expérience.»

Plusieurs coopérants arrivent sur le terrain avec de bonnes intentions, mais sans équipement adéquat, dit le Dr Couture. «Ils ne s'en rendent peut-être pas compte, mais ça crée des embûches dans une situation déjà chaotique.»

D'autres vivront une profonde déception. «La fameuse grande déception, soupire le Dr Couture. Je dirais qu'il y a 30% d'humanitaires qui sont franchement déçus que ça ne se passe pas comme ils l'avaient imaginé. Ils pensaient peut-être sauver plein de gens, alors qu'il y en a beaucoup qui meurent dans nos bras...»

Sans parler des ratés de la logistique qui retardent la livraison des secours. «Il faut aller le plus vite possible, mais ce maximum est parfois insuffisant. Il faut l'accepter comme humain, comme humanitaire. Dans les premiers jours, on opérait les gens en priorité, on laissait de côté des fractures qui auraient chez nous été opérées le même jour, en laissant les gens souffrir dans leur lit trois ou quatre jours. C'est difficile. Avec le temps, on ne l'accepte pas davantage. Mais ça finit par faire partie du travail.»

Avec la collaboration de Tristan Péloquin à Port-au-Prince