Femme de théâtre passionnée et engagée, Ginette Noiseux dirige l'Espace Go avec aplomb et audace. Toute l'équipe fête cette année le 30e anniversaire d'un théâtre d'avant-garde, qui n'a pas froid aux yeux et qui fait entendre la voix des créateurs de notre époque.

L'un des murs de son bureau est percé d'une sorte d'écoutille qui lui permet de voir et d'entendre ce qui se passe sur la scène de l'Espace Go. Ce n'est pas par curiosité, car elle connaît tout par coeur. Mais elle dirige le théâtre sur les plans artistique et général; elle en est le capitaine et doit veiller sur son équipage. Malgré le bonheur, malgré le génie d'un auteur, Ginette Noiseux ne prend ni masque ni gants et affirme tout de go que pour assurer la survie d'un théâtre, il faut l'engagement de la société et de plus généreuses subventions. Et le soutien indéfectible du milieu des affaires. Après 30 ans, même avec quelques éléments solides sur le plan financier, le théâtre respirait mieux avec cet apport d'oxygène.Pour sa participation sans relâche dans le domaine du théâtre québécois, La Presse et Radio-Canada nomment Ginette Noiseux Personnalité de la semaine.

Théâtre en mouvement

En ce 30e anniversaire d'existence, l'Espace Go est bien ancré dans la dynamique actuelle de notre temps, et ne renie pas son passé ni ses racines. Ginette Noiseux, scénographe et costumière de formation, porte en elle sa mission théâtrale depuis toujours.

Elle fait son entrée en 1982 au Théâtre expérimental des femmes, fondé trois ans plus tôt par Pol Pelletier, Louise Laprade et Nicole Lecavalier.

Peu à peu, l'esprit de ce collectif féministe théâtral se métamorphose et change de nom pour adopter celui d'Espace Go en 1985, alors qu'il est logé dans une manufacture.

Quelques années plus tard, Ginette Noiseux, par souci de faire place à l'art sans frontières, abandonne l'idée d'un féminisme total et laisse de la place aux talents d'artistes masculins qui investissent la scène sur le bout des pieds. Le premier est Claude Poissant, qui signe la mise en scène de La déposition d'Hélène Pedneault. Il y a ensuite la collaboration étroite de René-Daniel Dubois dans Les guerriers de Michel Garneau, Le roi se meurt d'Ionesco, Being at Home with Claude. Et bien d'autres.

«La réussite de notre théâtre, ce sont ses acteurs, ses auteurs, sa direction de production, tout le matériel humain.»

Jouer au théâtre ne fait pas vivre ses artistes, malheureusement; ils doivent aller vers le cinéma ou la télévision pour subvenir à leurs besoins. La directrice ajoute que l'état de santé du théâtre tient bon, malgré tout: «Heureusement la fréquentation des spectateurs est sans cesse croissante. Les Montréalais, en particulier, sont curieux de connaître l'avant-garde théâtrale.»

Elle mise sur l'audace. Des pièces de théâtre parfois iconoclastes, quelquefois totalement éclatées. Le résultat sur la scène compte pour beaucoup. Mais pas à n'importe quel prix. Le dramaturge doit savoir décrire le monde d'une autre façon. Il faut que l'inspiration créatrice soit passionnante. C'est à ces conditions que Ginette Noiseux investit sa passion, sa vision et peaufine la programmation. «On doit évaluer les retombées à long terme et pas seulement dans l'immédiat. Pour cela, il faut de la patience!»

Elle dit: «Le propre de l'artiste qui marque sa société est d'être inimitable.»

Jeu de Lego

Les yeux brillants et le rire cristallin sont les deux signes principaux qui trahissent son irréductible sens de l'humour et son optimisme. Sa joie de vivre, pourrait-on dire.

Elle maîtrise depuis fort longtemps l'art de ne jamais s'avouer vaincue, de ne jamais baisser les bras. Elle est libre.

Elle a grandi au bord de la rivière des Mille-Îles. Un décor fluide, organique, mouvant. Son père très catholique et rigide est médecin. Sa mère est une artiste musicienne. L'enfant va à la messe tous les matins, implore Dieu, y croit. Sous cette exaltation religieuse, la vie et l'imaginaire bouillonnent. L'une de ses soeurs qu'elle admire par-dessus tout est sculpteure et handicapée. Finalement, ses parents se séparent.

C'est, entre autres choses, le coup d'envoi d'une vie à contre-courant.

Brillante à l'école, elle a pensé faire une carrière en sciences. «Maman m'a amenée un jour voir un tableau de Borduas au Musée d'art contemporain», cite-t-elle comme expérience marquante. Et c'était comme si, en entrant dans l'imaginaire de l'artiste, le non-figuratif, l'éclatement des couleurs, elle obtenait tacitement la permission d'être différente.

Au couvent d'Outremont, à 13 ans, elle vit une autre expérience importante au cours d'une activité parascolaire. Elle est appelée à monter Le malade imaginaire de Molière pour les élèves. «Avec mon père médecin, j'étais certaine de pouvoir trouver ce qu'il fallait pour le décor.» C'est dans un grenier aux mille trésors qu'elle découvre, outre les costumes et les éléments de décor, sa véritable vocation.

Quelques années plus tard, après des circonvolutions adolescentes, des actions marginales extrêmes, des voyages, elle entre à 17 ans à l'École nationale de théâtre du Canada. Elle y fait la rencontre du maître, son mentor, François Barbeau, concepteur de costumes et directeur de la section scénographie à l'École. Et tout s'est enchaîné.

Le rôle du théâtre? «Le théâtre est une rencontre avec soi-même.» Occuper un siège de la salle et entrer dans une histoire sur la scène font jaillir parfois des émotions enfouies.

Femme d'équipe sans prétention, Ginette Noiseux trouve «rassurant et stimulant de s'entourer de gens plus compétents qu' (elle)». Dans la vie de tous les jours, ses enfants contribuent à créer son équilibre. Cela demande beaucoup d'énergie de tout concilier. Mais elle assume.

Et bâtit patiemment, à 52 ans, «comme un jeu de Lego», sa vie de femme, sa famille, son jardin, son équipe.