Lorsqu’on arrive aux abords du lac Monique, au nord de La Malbaie, on aperçoit deux chaloupes retournées, et un trou béant au milieu de la forêt, où de vieilles souches moisies jouxtent des mares de boue.

Il y a près d’un mois, un barrage a cédé. L’eau du lac s’est engouffrée dans la brèche et a creusé un impressionnant sillon de plusieurs mètres de profondeur. En contrebas, une section de route forestière a été détruite.

L’ouvrage de rétention était sous la responsabilité du ministère de l’Environnement depuis 2021. Il était auparavant orphelin, construit pour transformer ce qui était un milieu humide en étendue d’eau pour mettre en valeur le terrain et pêcher de la truite.

« Ce n’était probablement pas un ingénieur qui a construit ça », lance en boutade Jean Côté, professeur de génie civil à l’Université Laval et spécialiste du cycle de vie des barrages en remblai.

Par une journée froide de novembre, il accompagne – avec une classe d’étudiants – une équipe du ministère de l’Environnement venue constater les dégâts. Il a les deux pieds au bord d’un immense trou dans le sol, là où se trouvait une digue en terre d’environ 2 mètres de haut sur 20 mètres de large.

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Le lac Monique n’était ni très grand ni très profond. Aujourd’hui, de vieilles souches moisies jouxtent des mares de boue.

Le lac n’était ni très grand ni très profond. Et pourtant, la force de l’eau a tout emporté. « Ça montre la force de l’érosion. Ça s’est probablement vidé très rapidement », laisse-t-il tomber.

Un des aspects qui préoccupent M. Côté dans ses recherches, c’est la résilience des barrages en remblai dans un contexte de changements climatiques.

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Jean Côté, professeur de génie civil à l’Université Laval

Nos crues centenaires, c’étaient les anciennes crues millénaires. Les pluies sont extrêmement intenses, après des sécheresses. Ça apporte de grandes quantités d’eau dans les réservoirs, et ça peut causer une rupture.

Jean Côté, professeur de génie civil à l’Université Laval

Dans le cas du lac Monique, c’est ce qui s’est produit. « Le ministère est d’avis que [la rupture] est due à des précipitations importantes dans ce secteur. En effet, les données […] font état de précipitations importantes, c’est-à-dire plus de 135 mm de pluie en deux jours dans le secteur de Charlevoix », note Josée Guimond, conseillère en communication au ministère de l’Environnement.

  • Le type de sol qui meuble la région fragilise l’assise des barrages.

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    Le type de sol qui meuble la région fragilise l’assise des barrages.

  • L’ouvrage de rétention du lac Monique était sous la responsabilité du ministère de l’Environnement depuis 2021.

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    L’ouvrage de rétention du lac Monique était sous la responsabilité du ministère de l’Environnement depuis 2021.

  • La force de l’eau a tout emporté. Des barrages comme celui du lac Monique, il y en a des centaines, voire des milliers au Québec.

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    La force de l’eau a tout emporté. Des barrages comme celui du lac Monique, il y en a des centaines, voire des milliers au Québec.

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L’ouvrage a été réalisé en 1970. Lors de son inspection, en 2021, le Ministère a observé qu’il était couvert de « débris », et a constaté un « désordre général de la structure ». L’état de la section était « pauvre », et la fiabilité des appareils d’évacuation était « inadéquate ».

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Christophe Dandurand, propriétaire des chalets Spa Canada, situés entre le mont Grand-Fonds et le lac Monique

Le barrage était déjà probablement affaibli. Rencontré à proximité, Christophe Dandurand est propriétaire des chalets Spa Canada, situés entre le mont Grand-Fonds et le lac Monique. Il se souvient qu’en « 2016 ou 2017 », « l’eau était passée par-dessus le barrage », qui avait dû être réparé, car il servait également de passage pour une route régionale de motoneige. C’était avant que le Ministère en prenne possession. « Ça a été fait à la va-vite, comme bien souvent au Québec », a déploré M. Dandurand.

Autre particularité : le type de sol qui meuble la région, fragilisant l’assise des barrages. « Lorsqu’il y a eu rupture, la fondation a été surcreusée. C’est un phénomène connu dans la région, dont le sol est composé de dépôt glaciaire facilement érodable », note Michel Dolbec, directeur de projet Énergie chez WSP Canada.

Il souligne que tous les propriétaires de barrage ont le devoir de maintenir leur ouvrage en bon état. Dans ce cas-ci, le risque était toutefois « faible ». « La plus grosse perte, c’est le pourvoyeur qui a perdu son lac », dit-il.

Martin Dufour, propriétaire de la pourvoirie Domaine Comporté depuis la fin de l’année 2020, où se situait le lac Monique, a tout de même eu la frousse et se questionne sur les normes du Ministère. « Que ce soit faible contenance, ou haute contenance, c’est dangereux. Je ne suis pas ingénieur, mais j’ai un cours de la vie. Pas besoin d’être docteur en hydrologie : quand on voit les dégâts, c’est sûr que si j’étais sur la route au mauvais moment, je me serais fait tuer. Et pourtant, c’est jugé à faible contenance », a-t-il dit.

Il souligne que ses employés empruntent ce chemin forestier tous les jours, et lui, de deux à trois fois par jours.

Des barrages comme celui du lac Monique, il y en a des centaines, voire des milliers, un peu partout au Québec. Que ce soit en milieu urbain ou en pleine nature. À lui seul, le ministère de l’Environnement est propriétaire de 930 barrages gouvernementaux, dont 391 à forte contenance, 263 à faible contenance et 276 petits barrages.

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Encore aujourd’hui, le gouvernement du Québec continue d’en « trouver ». Il hérite d’ouvrages construits dans le passé par des promoteurs, des villégiateurs ou des propriétaires de pourvoirie. Le gouvernement a déjà renforcé la loi pour forcer les propriétaires à mieux entretenir ces infrastructures, mais le défi reste très grand.

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Est-ce que le lac Monique renaîtra un jour ? Le Ministère n’a pas encore tranché la question.

Cette année, un barrage a cédé à Sainte-Émélie-de-l’Énergie et un mur de protection a lâché à Baie-Saint-Paul, entraînant des dégâts très importants. Quelques années auparavant, les résidants de Grenville-sur-la-Rouge ont eu la frousse en raison d’un risque de rupture du barrage de la Chute-Bell. Impossible de savoir si le phénomène s’accentue, puisque « le Ministère ne tient pas de liste de barrages qui rupturent ou qui subissent des dommages ».

Est-ce que le lac Monique renaîtra un jour ? Le Ministère n’a pas encore tranché la question. « Une analyse de type coût-bénéfices sera réalisée en fonction de la faisabilité technique, de la nature des terrains de fondation, des impacts environnementaux, des besoins du milieu et des enjeux de sécurité », note Mme Guimond.

Quant à Martin Dufour, il se prépare au pire. Si le lac est abandonné, il prévoit des pertes de près de plus d’un million de dollars. Il a annulé toutes les réservations pour ses deux chalets qui ont maintenant une vue sur un marécage. « Depuis le printemps, c’était le troisième coup d’eau. Je suis déboussolé », laisse-t-il tomber.