(Québec) « Ne me dites pas que cette commémoration, ce soir, n’a rien de politique, parce qu’elle l’est. » Avec ces mots, le rappeur Webster venait d’encapsuler la journée de mercredi marquant le troisième anniversaire de l’attentat perpétré contre la grande mosquée de Québec.

Le soir du 29 janvier 2017, Mamadou Tanou Barry, Ibrahima Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane et Aboubaker Thabti ont perdu la vie lors de l’attentat. Ils ont laissé derrière eux leurs femmes et 17 orphelins.

Webster — un artiste et historien de Québec — a livré un discours enflammé, empreint d’amertume, au souper commémoratif organisé par le collectif citoyen « 29 janvier, je me souviens » qui a réuni 300 personnes à l’Église Saint-Mathieu.

Mais le premier ministre François Legault n’aura pas entendu une seule des récriminations de Webster sur les politiques identitaires, le racisme décomplexé et les chroniqueurs, « ces marchands de haine », parce qu’il avait déjà quitté la salle.

Il n’aura pas vu, non plus, la foule se lever et applaudir Webster à tout rompre lorsqu’il a demandé si elle allait laisser le gouvernement déterminer ce que les femmes doivent porter.

Il faisait référence à la loi 21 adoptée sous bâillon par le gouvernement Legault le 16 juin dernier. Cette loi interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants.

Et Webster de conclure : « Je suis Québécois, Canadien, Sénégalais, Noir et musulman, je suis le Québec ! » Les organisateurs de l’événement avaient expliqué que l’émotion vive ressentie après la tuerie avait maintenant laissé la place à la réflexion.

Aymen Derbali, gravement blessé dans l’attentat, a demandé à ce que l’on voit la diversité comme une richesse, et non comme une source de conflit. La foule a observé une minute de silence, dans le noir, avec seulement 300 petites chandelles pour l’éclairer.

M. Legault a pour sa part fait valoir que les Québécois avaient un devoir « de vigilance », car la province n’était pas à l’abri de la haine. Le vrai visage du Québec, par contre, a-t-il dit, « c’est celui du peuple québécois qui s’est réuni dès le lendemain (de l’attentat) ».

L’islamophobie existe

Plus tôt dans la journée, le collectif citoyen avait dit estimer que l’islamophobie existe au Québec et qu’il faut la combattre.

« Malheureusement, le 29 janvier s’inscrit dans un phénomène qui est plus large qui est l’islamophobie, a déclaré Sébastien Bouchard en point de presse au Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), qui a été le théâtre du carnage. Ça doit être su et dénoncé. »

Selon lui, plusieurs musulmans québécois ont été « agressés » dans le passé, et ils continuent d’être visés sur les médias sociaux, où ils sont victimes d’un déferlement de haine inouï.

« Certains chroniqueurs mènent au dénigrement des personnes musulmanes », a-t-il poursuivi, en écorchant au passage des animateurs radio de Québec, ainsi que les « groupuscules néonazis » qui « se promènent dans les rues » et tiennent des propos racistes.

L’an dernier, le premier ministre François Legault a soutenu qu’il n’y avait pas d’islamophobie au Québec et refusé de s’excuser devant le tollé suscité.

Selon le président du CCIQ, Boufeldja Benabdallah, le gouvernement n’en a pas fait assez pour rétablir les ponts avec la communauté musulmane et maintenir la paix sociale.

« Les lois doivent être faites pour la protection du citoyen, quelles que soient ses origines, […] pour que la société soit en équilibre, et non en déséquilibre comme il se fait actuellement, a-t-il déclaré. Les gouvernements en place sont loin de protéger les minorités. Ils font un effort, mais ce n’est pas suffisant. »

La loi 21 décriée

En entrevue à La Presse canadienne, M. Benabdallah avait vertement dénoncé la loi 21, qui « est venue mettre du trouble » dans la vie des familles musulmanes. Il a dit croire que la loi dont M. Legault est si fier place « une partie de la société au banc des accusés ».

« Encore une fois, on se sent minoritaires et visés, surtout la femme musulmane qui se trouve pénalisée », a-t-il déclaré.

« Le gouvernement aurait dû faire preuve de grande sagesse. Ce n’est pas juste une question de répondre à la majorité, à une promesse, mais faire en sorte que toutes les franges de la société se retrouvent », a-t-il renchéri.

S’il dit trouver les gens « aimables » pour la plupart (« Il y a des sourires, il y a des rencontres »), il s’inquiète des contrecoups de la loi. « Il y a du recul et ça pousse aussi des gens à nous dire : “ Bien, le gouvernement a raison ” et puis ça fait un peu d’éloignement. »

Legault réplique

Au contraire, a répliqué mercredi M. Legault en mêlée de presse à l’Assemblée nationale. La loi 21 permettra d’éviter les « dérapages », selon lui.

« La loi est très modérée et limite le port de signes religieux pour très peu de personnes. Ne rien faire, comme ça a été le cas dans les 10 dernières années, ça amène un plus grand risque de dérapages de la part de personnes racistes », a-t-il soutenu.