Les interventions du gouvernement Legault auprès de Bell et d’Hydro-Québec pour faciliter l’installation de la fibre optique sur les poteaux commencent à porter leurs fruits, ont indiqué plusieurs municipalités à La Presse. Les frais pour accéder à ces poteaux continuent toutefois à susciter de vives critiques.

La consigne du premier ministre François Legault était claire : depuis jeudi dernier, tout le travail de bureau devrait se faire en télétravail. Mais pour le président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Jacques Demers, c’est impossible : sa maison de Sainte-Catherine-de-Hatley, dans les Cantons-de-l’Est, n’est toujours pas desservie par l’internet à haute vitesse. Il doit donc travailler dans les locaux de la municipalité, dont il est maire, et sa conjointe dans ceux de la caisse populaire qu’elle dirige. Leurs deux fils se partagent la connexion anémique. « C’est arrivé que j’amène le plus jeune à la municipalité pour qu’il puisse être capable de suivre ses cours », raconte M. Demers.

Plus de 340 000 foyers québécois sont logés à la même enseigne. La situation, depuis longtemps pénible, est devenue intenable avec la pandémie. Surtout lorsqu’il est devenu évident que le nœud du problème se trouvait dans les poteaux appartenant majoritairement à Bell et à Hydro-Québec.

(Re)lisez notre reportage « La guerre des poteaux »

La table de coordination annoncée à la fin de mai par Québec commence toutefois à donner des résultats, nous a-t-on indiqué dans plusieurs municipalités régionales de comté (MRC).

« On a débloqué des permis au cours des deux dernières semaines », témoigne Denis Huberdeau, directeur général de Fibre Argenteuil, organisme à but non lucratif (OBNL) créé par la MRC d’Argenteuil, dans les Laurentides, pour brancher ses résidants.

Même son de cloche chez Connexion Matawinie, OBNL créé par la MRC de la Matawinie, dans Lanaudière.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Cormier, directrice générale de Connexion Matawinie

On est partis de loin en juillet et là, on voit que ça débloque.

Caroline Cormier, directrice générale de Connexion Matawinie

« Hydro-Québec nous aide beaucoup et Bell, eh bien, avec la table, ils rajustent leur tir », indique Robert Lalonde, préfet de la MRC de Maskinongé, en Mauricie, et président du conseil d’administration de l’OBNL Maskicom.

Bell Canada a annoncé des allégements à deux reprises cet automne, dont les plus récents vendredi dernier.

« On voit une volonté du côté de Bell, qu’on ne voyait pas l’été dernier, de vraiment faire avancer les choses », confirme M. Huberdeau.

Hydro-Québec possède plus de la moitié (61 %) des quelque 2,7 millions de poteaux plantés dans le paysage québécois, mais c’est Bell (propriétaire d’environ 25 % des poteaux) qui s’est attirée le plus de critiques.

François Legault, qui a promis d’amener la haute vitesse à tous les Québécois avant la fin de son mandat, a même rencontré le grand patron de Bell, Mirko Bibic, à ce sujet à la fin d’octobre. Le dossier, qui relevait du ministère de l’Économie, vient d’ailleurs d’être rapatrié au bureau du premier ministre (ministère du Conseil exécutif), et confié au député d’Orford, Gilles Bélanger.

« J’ai été estomaqué au début du mandat quand j’ai vu la lourdeur du processus », a raconté M. Bélanger en entrevue téléphonique avec La Presse lundi.

Selon lui, il y avait « beaucoup trop » de bureaucratie « et trop de délais de communication ». Et les propriétaires de poteaux que sont Bell, Hydro-Québec, Telus et Télébec « ont été pris de court » par la forte demande de permis.

« Là, on en débloque à coups de centaines par semaine », dit-il. « Et Bell, je dois saluer, disons, ce que je vois, pour le moment. Il y a une collaboration », témoigne M. Bélanger. « Je pèse mes mots », ajoute-t-il cependant du même souffle.

L’objectif est toujours de relier tous les Québécois à la haute vitesse d’ici juin 2022, et la fibre optique demeure le moyen privilégié, mais elle ne se rendra pas partout, reconnaît celui qui a été nommé adjoint parlementaire du premier ministre mercredi dernier.

« Celui qui est allé s’installer tout seul à huit kilomètres du bout d’un rang à côté de son petit étang, on va vouloir lui offrir une vitesse qui va être suffisante par une technologie qui va être sans fil par des tours. »

La FQM veut des résultats au cours de la prochaine année. « Outre des subventions, outre les promesses, c’est réellement du concret : combien de familles [auront été connectées] », demande Jacques Demers.

Factures dénoncées

L’accès aux poteaux continue néanmoins à poser problème, montrent les témoignages déposés au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au cours des derniers jours.

Québecor Média, propriétaire de Vidéotron, accuse Bell de s’en servir « comme d’une arme anticoncurrentielle ». Rogers se plaint que les anciens monopoles de télécommunication comme Bell et Telus « refusent et retardent impunément l’accès à leurs structures ».

Et les grands fournisseurs concurrents sont loin d’être les seuls à se plaindre du système.

Les frais de location à payer aux propriétaires des poteaux sont « prohibitifs », dénonce la MRC de Témiscouata, qui possède 765 km de fibre optique avec d’autres MRC et des centres de services scolaires. Ce réseau public, qui ne génère aucun revenu, leur coûte 220 000 $ de loyer par an, une facture qui les a forcés à mettre un projet de 35 km supplémentaires sur la glace.

La MRC d’Argenteuil s’insurge aussi contre les « frais faramineux » des demandes de permis, qui vont lui coûter à elles seules près d’un demi-million de dollars.

Elle demande au CRTC de créer un tarif préférentiel pour les MRC, OBNL et fournisseurs communautaires.

Le fait que le dernier utilisateur à passer ses fils doive payer pour réparer ou remplacer le poteau est aussi vivement critiqué. « Des organisations ont dû payer plus de 25 000 $ », signale First Mile, association de fournisseurs autochtones de partout au Canada. Est-il normal de payer un loyer sur un poteau vieux de 50 ans « qui devrait être amorti depuis longtemps ? », soulève aussi First Mile.

Plusieurs intervenants ont demandé au CRTC d’imposer des délais maximaux et un mécanisme pour régler les problèmes rapidement.

Bell a pour sa part déposé un mémoire très détaillé dans lequel elle propose plusieurs changements techniques. Le processus du CRTC se poursuit jusqu’en février prochain.