De nombreux riverains ont encore bien frais en mémoire les inondations du printemps 2017, qui avaient fait quelque 6000 sinistrés dans plusieurs régions du Québec, dont Montréal. Deux ans plus tard, l’histoire semble se répéter, alors qu’on attend jusqu’à 80 mm de précipitations dans le sud-ouest de la province, selon Environnement Canada. La Presse s’est rendue à Rigaud et à Pierrefonds, où les citoyens font tout ce qu’ils peuvent pour protéger leur résidence. 

« Moi, je reste »

Alors que le maire de Rigaud somme les citoyens de sa ville qui habitent en bordure de la rivière des Outaouais d’évacuer leur domicile dans les 24 prochaines heures, de nombreux riverains ont plutôt décidé de rester sur place pour protéger leurs maisons, espérant ne pas revivre le cauchemar des inondations printanières de 2017.

Plusieurs citoyens accusent d’ailleurs l’administration de la ville de ne pas en faire assez pour les aider.

« Pensez-vous qu’on va réussir à sauver ma maison cette fois ? », se questionne avec émotion Mme Desgroseillers, en regardant son fils bâtir une palissade, la recouvrir de goudron et protégeant les fondations de sa demeure.

En 2017, la dame a été fortement inondée. Elle n’a pas bénéficié des aides accordées à ses voisins, qui pour la plupart ont maintenant des solages hydrofuges. La maison était considérée comme trop endommagée, explique-t-elle.

Le maire de la ville, Hans Gruenwald Jr, préférerait voir les riverains évacuer leur résidence plutôt que de se placer dans une situation qui pourrait s’avérer dangereuse.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le maire de Rigaud, Hans Gruenwald Jr

« La situation évoluera rapidement. [...] Ça va arriver tellement vite que les gens ne pourront pas réagir, à la vitesse à laquelle l’eau va monter. »

La municipalité ne fournit pas de sacs de sable, mais plutôt du sable en vrac, disponible au cœur de la ville, ce qui laisse les citoyens amers. Plusieurs ont payé pour que des camions leur en acheminent.

M. Gruenwald croit que les citoyens devraient tout laisser là et quitter les lieux aussi rapidement que possible. Il y a deux ans, le maire se souvient d’un remue-ménage qui n’a pas été bénéfique. « Les mieux organisés et les plus en forme ont succombé aux forces de la nature », a-t-il mentionné en conférence de presse.

Garder le fort

Chez les riverains, les mots sont peu élogieux à l’égard de l’administration. « Pourquoi ne m’a-t-on jamais demandé si j’avais besoin de quelque chose ? », demande William Bradley, qui souligne l’inefficacité du plan d’urgence.

Pendant que le maire martelait son désir de voir l’avis d’évacuation respecté par les riverains, peu d’entre eux semblaient prévoir un départ imminent.

« Moi, je reste ici, j’ai mon bateau, ma pompe à eau et un solage hydrofuge. Si j’étais resté la dernière fois, j’aurais été au sec tout au long. » — Gabriel, riverain 

D’autres voisins sont du même avis, ils montent des murs de sacs de sable en tentant de rester positifs, mais l’ambiance n’est pas à la fête. Plusieurs habitants étaient en pleins travaux, ou venaient tout juste de se remettre du saccage créé par les évènements de 2017.

D’autres quittent leur maison, ne voulant pas être présents au paroxysme de la catastrophe annoncée. « J’ai tout monté, j’ai laissé la porte du sous-sol ouverte, ça va se remplir sans faire de pression. La dernière fois, l’ingénieur m’a dit que comme ça, la fondation n’allait pas bouger », explique Manon, une résidante habitant dans la zone évacuée.

Services aux évacués

« Les gens qui n’écouteront pas vivront avec leurs propres conséquences », a lâché le maire en conférence avec ses homologues de Pointe-Fortune et de Très-Saint-Rédempteur. Il soutient que la vie des pompiers ne sera pas mise en péril pour venir en aide à des citoyens qui auraient refusé de partir.

Pour ceux qui évacuent leur résidence, des services seront offerts à la bibliothèque de la ville. Sur le terrain, l’heure était au porte-à-porte et à la prévention ; on attend que la montée des eaux se manifeste concrètement. Le niveau de la rivière, bien que plus élevé qu’à l’habitude, n’avait toujours pas envahi de façon importante les soubassements des maisons les plus à risque.

Une ligne d’information est mise à la disposition des citoyens de Rigaud et de Pointe-Fortune au 579 217-0058

État de la situation

Niveaux des rivières

Les niveaux d’eau de la rivière des Mille Îles, de la rivière des Prairies et de la rivière des Outaouais sont particulièrement critiques, des alertes d’inondations sont en vigueur pour ces trois cours d’eau. La situation est également à surveiller dans les Laurentides et dans Lanaudière, où de potentielles débâcles s’en viennent. Hydro-Météo prévoit que les précipitations à venir et le temps doux, qui accélère la fonte des neiges, pourraient générer des alertes d’inondations étendues à une grande partie du territoire. Les niveaux des plans d’eau toujours stables hier soir devraient croître jusqu’à demain.

Précipitations 

Le sud-ouest du Québec sera très touché dans les prochains jours par des précipitations pouvant atteindre 75 mm en 48 heures. Selon Environnement Canada, les régions au nord du fleuve pourraient recevoir d’ici demain jusqu’à 80 mm de pluie. Dans la région métropolitaine, la pluie pourrait générer de 30 à 40 mm d’accumulation. Plus au sud, de 30 à 40 mm sont attendus.

État d’urgence à Laval

Laval est passé en état d’urgence hier soir, alors que 1500 portes étaient menacées par des inondations ; il s’agit d’une augmentation rapide par rapport à mercredi, où 800 foyers avaient été étiquetés comme étant à risque. L’état d’urgence permettra également à la Ville de ne pas avoir les mains liées et de pouvoir agir sans l’obtention d’une multitude d’approbations normalement d’usage pour acheter du matériel, comme des sacs de sable.

Hydro-Québec à l’affût

Hydro-Québec demeure à l’affût de tout éventuel débordement afin de débrancher les municipalités le demandant ou les citoyens inondés pour ne pas endommager les circuits électriques et éviter les accidents. « On est préparé en amont pour que les réservoirs plus aux nord puissent accueillir la crue, mais les précipitations pourraient tomber plus au sud. C’est alors difficile de les contrôler », a affirmé Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole d’Hydro-Québec. Pour le moment, la société d’État estime que la crue des eaux ne devrait pas être supérieure à ce que la province a vécu en 2017, spécifiant tout de même que les 72 prochaines heures demeurent cruciales. Une cinquantaine de résidences étaient toujours privées de courant dans la région de Beauceville, où des inondations ont débuté mardi. La situation tend par contre à s’améliorer.

Pierrefonds sur le pied de guerre

Aux abords de la rivière des Prairies, à Pierrefonds, les résidants appréhendaient une répétition des inondations de 2017. Les eaux avaient alors débordé au point que des rues n’étaient praticables qu’en chaloupe. Des terrains vides témoignent de la démolition de maisons, jugées inhabitables.

« On est sur le pied de guerre », a dit Claudio Martinelli, rencontré non loin de la maison dont sa femme a hérité à la mort de ses parents.

La résidence se trouve à sept terrains de la rivière. Il y a deux ans, l’eau avait complètement inondé son sous-sol. « Si on a une nouvelle inondation, on perd la maison, c’est sûr et certain », a soupiré M. Martinelli.

Depuis le début du printemps, tous les matins, il se rend au bord de l’eau et scrute le niveau, à l’affût de tout changement. Comme plusieurs résidants des alentours.

Plan d’intervention d’urgence

La Ville a commencé à ériger des digues avec des sacs de sable. Des sacs supplémentaires ont été distribués aux résidants.

L’agglomération de Montréal a annoncé hier le déclenchement de son plan d’intervention d’urgence. Les fortes pluies annoncées dans les prochains jours, combinées à la fonte des neiges, suscitent l’inquiétude. « Le pire est à venir », a dit en conférence de presse le directeur du Service de sécurité incendie de Montréal, Bruno Lachance. Les trois secteurs particulièrement visés à Montréal sont Pierrefonds, L’Île-Bizard et Ahuntsic-Cartierville. Des équipes ont commencé à élever des digues.

Le tournant de 2017

Habitant sa maison près de l’eau depuis 28 ans, Denis Gingras se disait « découragé d’avance », hier. Sa conjointe, Lucie Côté, connaît bien le secteur : ses grands-parents étaient propriétaires de tous les terrains de sa rue, à une époque. Dans la maison voisine, ses parents ont montré à La Presse la piscine creusée, inondée chaque année au printemps. Seul un bout de l’escalier en métal était visible.

Si les riverains sont habitués aux crues, l’année 2017 marque un tournant.

« En 2017, on ne savait pas. Maintenant, on sait le paquet de troubles, le stress. On sait ce qui nous attend. » — Denis Gingras, riverain  

Le couple possède maintenant trois pompes à eau. Aujourd’hui, M. Gingras et son fils devaient s’affairer à monter tondeuses, souffleuses et autres objets coûteux au balcon. Trop près de l’eau, ils n’ont pas de sous-sol et leur maison est surélevée. Mais en 2017, il s’en serait fallu d’un pied pour qu’il y ait de l’eau à l’intérieur, disent-ils.

D’autres résidants du secteur n’ont pas eu leur chance.

Quand la digue n’a pas suffi à retenir l’eau en 2017, Steve Taylor a pris un sac et son chien et a quitté sa maison en kayak. La Presse l’a rencontré devant le terrain vide où se tenait autrefois sa petite maison blanche, où il a habité 20 ans. « Ce n’est pas facile de revenir. J’ai vu la démolition. Je viens encore m’asseoir ici », dit-il.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Steve Taylor a de douloureux souvenirs des inondations de 2017. 

Il s’estime chanceux dans sa malchance. Il a reçu une somme d’argent qu’il jugeait acceptable. D’autres sinistrés ont eu plus de mal à obtenir leurs indemnisations. C’est le cas de Claudio Martinelli, qui dit avoir dû « se battre » pour obtenir les siennes.

Pour lui, les menaces d’inondations « grugent le moral ». Comme pompier, il a déjà participé à des manœuvres d’aide aux sinistrés. « Mais quand on est dedans, on se bat contre Goliath en maudit », a-t-il insisté, espérant que la Ville fera appel à l’armée rapidement s’il le faut.

— Avec Kathleen Lévesque, La Presse