Chef de cabinet du premier ministre Jean Charest depuis 2007, Daniel Gagnier passe chez HKDP, une firme pancanadienne spécialisée dans les communications et les relations gouvernementales.

Dès les premières heures, cette association a paru ambiguë: M.Gagnier et ses nouveaux employeurs n'ont visiblement pas la même idée du rôle que jouera l'ancien bras droit du premier ministre du Québec dans l'entreprise.

Pour Daniel Matte, chef du bureau de HKDP à Montréal, «il est certain que M.Gagnier ne pourra faire des relations gouvernementales avec le gouvernement du Québec pendant un an». M.Gagnier, qui dépasse la soixantaine, a quitté ses fonctions il y a deux mois. Les membres du Conseil des ministres, eux, doivent s'imposer une réserve de deux ans avant de traiter à nouveau avec le gouvernement.

Pour la première année, M.Gagnier «va travailler auprès du gouvernement du Canada et pourrait le faire auprès des gouvernements des autres provinces. Il a un bon réseau, il a aussi travaillé en Saskatchewan», a observé M.Matte.

«Si on décide qu'il fait des relations gouvernementales, c'est sûr qu'il va s'inscrire au registre des lobbyistes», a dit M.Matte.

Au Québec, il y a un délai de carence d'un an avant qu'un ancien employé politique puisse prendre contact avec les cabinets du gouvernement où il a travaillé; au terme de ce délai, rien ne l'empêchera de faire des relations gouvernementales, a résumé M.Matte, lui-même un ancien employé du cabinet de l'ex-ministre Guy Chevrette. «Ils m'ont demandé d'être un conseiller interne. Ce n'est pas un emploi à temps plein, je n'aurai pas à m'occuper de dossiers, a expliqué M.Gagnier. Cela n'a rien à voir avec les enjeux quotidiens.»

Il s'est dit surpris qu'on souligne qu'il pourrait dans un an se retrouver sur le registre des lobbyistes. «On verra bien ce qui se passera dans un an. Ce que HKDP veut, c'est par exemple que je puisse expliquer comment les gouvernements fonctionnent ici quand ils ont un client qui arrive de l'étranger», a expliqué M.Gagnier, ancien haut fonctionnaire sous Brian Mulroney et ex-vice-président aux communications d'Alcan.

Pour le critique péquiste Stéphane Bédard, «il n'y a rien là-dedans d'illégal. Mais c'est une dérive, on est à la limite. Le communiqué nous dit qu'il est embauché pour ses connaissances des gouvernements à Québec et Ottawa, et on nous dit du même souffle qu'il ne s'en servira pas», a souligné le député de Chicoutimi.

«Cela restera un dossier à suivre. Il est au coeur d'une firme qui a comme clients des gens qui veulent traiter avec le gouvernement. Il était au coeur de décisions au cabinet du premier ministre, il a le même délai de carence que n'importe quel attaché politique», a ajouté M.Bédard.

«Quand on a vu que Philippe Couillard a négocié son avenir tout en étant ministre avec une firme qui traitait avec son ministère, le tout avec la bénédiction du premier ministre, on est dans la dérive», a-t-il conclu.

Pour l'adéquiste Sylvie Roy, cette proximité d'un décideur qui passe à l'emploi d'une firme qui fait des relations gouvernementales, «c'est incestueux».

«On voit que M.Gagnier n'a pas eu à traverser de zone tampon, il passe en pratique d'un emploi à l'autre, a-t-elle dit. De telles situations devraient trouver des réponses dans un éventuel code d'éthique gouvernemental, mais cet automne le gouvernement a choisi de ne pas faire avancer ce dossier.»