Le gouvernement fédéral retarde depuis un an la publication d'un rapport sur la possibilité de permettre à des sociétés d'offrir des prêts conformes à la loi islamique.

Le propre de ces prêts est d'éviter de faire payer des intérêts à l'emprunteur puisque la loi islamique (la charia) interdit le prêt usuraire. Par exemple, une banque achète elle-même une maison et la loue au véritable acheteur, qui n'en devient propriétaire que lorsqu'il a fini de payer ce qu'il doit.

 

La Société canadienne d'hypothèque et de logement (SCHL) a commandé ce rapport au bureau d'avocats Gowlings Lafleur Henderson, à Ottawa, par la voie d'un appel d'offres lancé en décembre 2007.

À l'époque, la démarche avait attiré l'attention des médias. La société d'État leur répondait qu'il ne s'agissait que d'une démarche d'information de la population, qu'elle n'avait aucune intention d'offrir de tels produits à sa clientèle et que le rapport serait rendu public dès la fin de 2008.

Or, le rapport n'a toujours pas été publié, bien que la SCHL l'ait reçu en mars 2009, comme le démontrent des documents que La Presse a obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Ces documents montrent également que le bureau de la ministre responsable de la SCHL, Diane Finley, a commencé à s'occuper activement de ce dossier au mois d'août 2009, soit quelques semaines avant le possible déclenchement d'élections fédérales qui n'ont finalement pas eu lieu.

On ignore toutefois la teneur des discussions qui ont eu lieu et qui y a pris part, car ces informations ont été censurées pour des raisons de confidentialité.

Les documents indiquent néanmoins que le président de la SCHL a eu le rapport entre les mains entre le printemps et l'automne 2009 à des fins de «révision».

«Tout ce que j'ai comme information, c'est qu'il va être rendu public en 2010», a simplement expliqué le porte-parole de la société, Charles Sauriol. Il n'a pas voulu en dire plus.

En ébullition

Les services financiers conformes aux principes islamiques sont en véritable ébullition dans le monde, et les sociétés financières multiplient les pressions pour qu'Ottawa leur donne l'autorisation d'entrer dans la danse.

Depuis plus de deux ans, plusieurs sociétés privées ont en effet demandé au gouvernement fédéral la permission de fournir de tels services financiers ou d'ouvrir des banques qui offrent ce type de produits.

Cet intérêt n'est pas étonnant puisque le secteur est lucratif: selon l'agence Moody's, le secteur de la finance islamique dans le monde vaut actuellement 700 milliards de dollars et pourrait atteindre jusqu'à 4 billions.

Or, on évalue à quelque 855 000 le nombre de musulmans au Canada. Selon Statistique Canada, cette communauté connaîtra la plus forte croissance d'ici 2017, pour atteindre jusqu'à 5% de la population totale, ou près de la moitié des groupes religieux non chrétiens.

Pourtant, le pays accuse un certain retard par rapport à d'autres, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, qui sont déjà bien engagés dans cette voie.

Jusqu'ici, le fédéral s'est borné à ne pas empêcher ce qui entre dans le cadre législatif actuel. C'est le cas, notamment, de prêts hypothécaires conformes à la charia, déjà offerts par des compagnies comme UM Financial, de Toronto.

Quant aux demandes des institutions financières, on ignore quand et comment Ottawa y répondra. Pour l'heure, le Bureau du surintendant des institutions financières, l'organe chargé de les examiner, s'est contenté de confirmer qu'il en étudiait deux.

Sujet délicat

Une chose est sûre, cependant: tant pour l'approbation d'institutions financières que pour le rapport de la SCHL, le gouvernement est loin de pécher par excès de vitesse.

Un autre document obtenu par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information démontre en effet que le Bureau du surintendant a reçu deux demandes en 2007. On ignore si ce sont celles qu'il étudie actuellement. On sait toutefois qu'il avait alors mis sur pied un groupe consultatif avec le ministère des Finances pour décider quoi faire. Ce groupe aurait aujourd'hui terminé ses travaux et formulé ses recommandations.

N'empêche, le rythme adopté par Ottawa dans le dossier ne passe pas inaperçu chez les principaux intéressés.

«La SCHL et des gens au gouvernement nous ont dit que c'est un sujet un peu délicat et qu'ils veulent gérer la situation avec prudence», a confié Omar Kalair, PDG et fondateur d'UM Financial.

Lorsque la SCHL a commandé l'étude, le Congrès musulman du Canada avait publiquement dénoncé les prêts hypothécaires conformes à la charia, qu'il considère comme une manière d'abuser de la foi de certaines personnes pour les amener à payer plus cher.

Le fondateur du Congrès, Tarek Fatah, se réjouit aujourd'hui de la prudence du gouvernement fédéral: «Nous voyons cela comme le front financier du mouvement islamiste, a-t-il tranché. Cela cible des musulmans vulnérables et marginalisés, à qui l'on dit que, s'ils font affaire avec des non-musulmans, ils iront en enfer. C'est comme l'église catholique du XIIIe siècle.»

«Nous sommes très contents qu'ils n'aient pas permis cela, a indiqué M. Fatah. La finance islamique se base sur des prémisses frauduleuses.»

Avec la collaboration de William Leclerc

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Demandes d'audience publique

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) étudie actuellement deux demandes de sociétés qui souhaitent créer une banque islamique au Canada. Seule l'une d'elles, Al Salam House-Canada, une société de Calgary qui a des racines en Arabie Saoudite, a signalé son intention dans la Gazette du Canada. À la suite de cette annonce, trois personnes ou groupes de personnes ont écrit au gouvernement fédéral pour faire connaître leur opposition et demander des audiences publiques sur la question de la finance islamique au pays. Pour des raisons de «confidentialité», le BSIF a refusé de dévoiler l'identité et les motifs de ces antagonistes. Mais un porte-parole a déclaré que le BSIF avait décidé de passer outre à ces demandes, puisque des « audiences publiques n'auraient rien apporté de nouveau «. L'avocat d'Al Salam n'a pas rappelé La Presse.