Sommé de se rétracter par le Parti libéral et par le Conseil national des musulmans canadiens, le premier ministre François Legault a corrigé ses propos selon lesquels «il n'y a pas d'islamophobie au Québec».

Jeudi, au terme de la réunion de son caucus à Gatineau, M. Legault écartait l'idée que le 29  janvier - journée de commémoration de la tuerie à la Mosquée de Québec, en 2017 - soit déclaré journée nationale contre l'islamophobie.

«Je ne pense pas qu'il y ait de l'islamophobie au Québec, je ne vois donc pas pourquoi il y aura une journée [qui y soit] consacrée», affirmait le premier ministre.

Les propos de M. Legault ont soulevé une controverse et le Parti libéral ainsi que le Conseil national des musulmans canadiens lui ont demandé, vendredi matin, de se rétracter. «Le premier ministre semble vivre dans une bulle, ne pas voir que l'islamophobie existe au Québec», a soutenu le chef intérimaire du Parti libéral, Pierre Arcand.

Il a relevé qu'un homme de 49 ans, Pierre Dion, a été arrêté ce matin même à son domicile de Terrebonne à la suite d'une publication sur Facebook d'une vidéo dans laquelle il fait l'apologie d'Alexandre Bissonnette, le tireur de la Mosquée de Québec.  

«Le Québec n'est pas pire qu'ailleurs. [...] Comme dans toute société, ça existe. Le fait de le nier est à mon avis inacceptable» et «indique quand même que le premier ministre semble avoir un problème avec ces questions-là», a ajouté Pierre Arcand lors d'une mêlée de presse, en marge d'une réunion du caucus libéral.

«Il y a des gens, sans aucun doute, qui le sont (islamophobes), alors de faire une affirmation aussi catégorique que celle-là, ça m'apparaît être une assez courte vue d'esprit, mais évidemment qu'avec M. Legault, ce n'est pas surprenant», a renchéri le député libéral Gaétan Barrette.

Selon Barrette, on ne peut nier qu'il y a au Québec, comme ailleurs, un courant islamophobe.

«(M. Legault) a décrété que ça n'existait pas au Québec. Il faut faire la nuance de courants forts, de courants faibles. Le Québec a tous les courants et on doit tout un chacun se battre contre ça tous les jours, et pour se battre contre quelque chose, il faut le nommer», a-t-il renchéri.

Le cabinet du premier ministre a émis des commentaires en fin d'avant-midi pour corriger le tir: «M. Legault voulait dire qu'il n'y a pas de courant islamophobe au Québec. Il existe de l'islamophobie, de la xénophobie, du racisme, de la haine, mais pas de courant islamophobe. Le Québec n'est pas islamophobe ou raciste».

En fin d'après-midi, François Legault a annoncé s'être entretenu avec M. Benabdallah. « Je l'ai assuré que mon gouvernement combattra le racisme, la haine et l'intolérance », a-t-il déclaré sur Twitter.

Quant au Conseil national des musulmans canadiens, son directeur général a déploré ce matin que le premier ministre soit, à son avis, manifestement déconnecté des réalités de l'islamophobie sur le terrain au Québec. Il lui a demandé de reconnaître que l'islamophobie, comme toutes les autres formes de haine et de racisme, existe au Québec et nécessite d'être abordée.

Comme le PLQ l'avait fait lorsqu'il était au pouvoir, il a lui aussi rejeté l'idée d'une journée contre l'islamophobie. «On ne devrait pas prendre seulement la question de l'islam. Je pense qu'on devrait dénoncer, avoir éventuellement une journée sur l'ensemble de ce que l'on appelle la xénophobie au Québec, c'est-à-dire ceux qui sont antisémites, etc.», a dit Pierre Arcand. 

Le Québec souligne la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale (21 mars). Le gouvernement a également créé dans le passé la Semaine québécoise des rencontres interculturelles (début novembre). En 2016, à la suite d'un vote à l'Assemblée nationale, le 15 janvier a été désigné Journée nationale du vivre-ensemble. C'est «afin notamment de commémorer les victimes d'attentats, comme ceux qui avaient eu lieu à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Ottawa, à Jakarta et à Ouagadougou», indique un communiqué du gouvernement de l'époque. 

Lorsqu'on lui a rappelé qu'il existe déjà une journée contre le racisme, Pierre Arcand a laissé tomber: «ha bon, écoutez, si elle existe déjà, ça règle le problème». 

Plus tard dans la journée, au terme d'une réunion du caucus libéral, le chef intérimaire s'est dit satisfait de la correction apportée par le premier ministre. «Il reconnaît qu'il s'est trompé. Alors, moi, je ne veux pas en faire une lutte à finir. Je lui ai demandé de s'excuser, je trouve que c'est passablement ça, c'est pas mal une excuse», a-t-il dit.

Interrogée sur l'islamophobie au Québec, voici ce que Valérie Plante a dit ce matin: «Des gestes islamophobes ou des comportements islamophobes, il y en a au Québec. On ne peut pas le nier. Il ne fait pas oublier qu'il y a deux ans, des hommes sont morts, froidement tués alors qu'ils priaient dans une mosquée. C'est ça, la réalité. Est-ce que c'est ce qui définit le peuple québécois? Non. Mais il y a des gestes islamophobes et il faut pouvoir le nommer pour agir et faire de la sensibilisation. Ça, c'est sûr.»

- Avec La Presse Canadienne et Suzanne Colpron, La Presse