Poursuivi en justice par un groupe de défense des droits des minorités de genre, le gouvernement du Québec se montre disposé à retirer la mention du sexe sur les actes de naissance des gens qui en font la demande. Mais la mesure est jugée «cosmétique» par les militants, qui continuent leur combat pour faire changer les lois québécoises.

Le Centre de lutte contre l'oppression des genres se trouve actuellement devant la Cour supérieure pour faire invalider 11 articles du Code civil du Québec. Selon le groupe, ces articles briment les droits à l'intégrité, à la sécurité, à la vie, à la dignité, à la vie privée et à l'égalité des personnes trans et non binaires (qui ne s'identifient à aucun des deux genres).

D'entrée de jeu, la Procureure générale du Québec et le Directeur de l'État civil ont manifesté leur ouverture à procéder à des changements « administratifs ». Parmi ceux-ci, notons la possibilité de faire disparaître la mention de sexe sur les actes de naissance, de mariage ou de décès des gens qui en feraient la demande.

« Ça va dans la bonne direction, mais c'est très insuffisant », a commenté à La Presse D.T., militante en droits trans au Centre de lutte pour l'oppression des genres, qui qualifie les propositions du gouvernement de « modifications de surface ».

« Les données existent toujours dans le registre. C'est seulement que le M (pour masculin) ou le F (pour féminin) ne paraîtraient pas sur l'acte. Ce n'est pas une reconnaissance légale de l'existence non binaire. » - Me Audrey Boctor, avocate de la poursuite

La poursuite plaide que de tels changements administratifs peuvent être modifiés facilement et réclame qu'ils soient inscrits dans le Code civil lui-même.

Quand une femme est désignée père

En plus du Centre de lutte contre l'oppression des genres, la poursuite est représentée par deux couples avec enfants : Samuel Singer et Sarah Blumel, ainsi qu'Elizabeth Heller et Jenna Michelle Jacobs. Samuel Singer, identifié comme une fille à la naissance, ne s'identifie aujourd'hui à aucun des deux genres. Jenna Michelle Jacobs, de son côté, a été identifiée comme un garçon à la naissance, mais se considère maintenant comme une femme.

Sur l'acte de naissance de son premier enfant, Jenna Michelle Jacobs est désignée comme « père », alors que ses propres papiers la désignent maintenant comme une femme et qu'elle est reconnue comme la mère de son deuxième enfant. Elle est incapable de faire changer cette mention.

Samuel Singer se retrouve dans une situation semblable, étant officiellement désigné comme la « mère » de son enfant. Sa volonté d'être identifié comme simple « parent » n'est pas permise par la loi.

« Cela cause plusieurs situations embarrassantes non seulement pour les personnes, mais surtout pour les enfants », affirme D.T. Selon la poursuite, Québec se serait montré disposé à modifier la désignation de père pour mère et vice-versa sur les actes de naissance des enfants, mais pas à y inscrire une catégorie neutre comme « parent ». Il a été impossible d'obtenir hier des commentaires du ministère de la Justice.

Mineurs et non-citoyens

Depuis que la poursuite a été déposée, en 2014, le groupe de plaignants convient que des « progrès importants » ont été effectués au Québec. Il n'est plus nécessaire, par exemple, de subir une intervention chirurgicale pour faire changer la mention de sexe sur les documents officiels.

La poursuite plaide toutefois que quatre catégories de personnes continuent de voir leurs droits bafoués par les lois actuelles : les parents trans ou non binaires, les mineurs et les non-citoyens appartenant à ces minorités, ainsi que les personnes non binaires « forcées » de s'identifier comme homme ou femme par les autorités. Au Québec, le Code civil stipule par exemple qu'il faut être citoyen canadien pour faire changer le sexe sur son acte de naissance et même pour changer de nom.

« Des gens, actuellement, doivent vivre avec des documents qui disent l'opposé de leur apparence ou de leur genre affirmé. Demander des services, aller à l'hôpital, chercher un emploi : tout cela conduit à des situations embarrassantes, parfois discriminatoires et violentes. » - D.T., militante en droits trans au Centre de lutte contre l'oppression des genres

La militante considère que le Québec est actuellement « en retard » sur les autres provinces canadiennes. En Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta, par exemple, une personne peut choisir de faire inscrire M (masculin), F (féminin) ou X (autre) sur ses documents officiels.

« C'est triste de voir ce retard quand on pense qu'on était en avance sur les droits des LGBT, comme dans la reconnaissance du mariage gai », dit D.T.

Le procès doit se poursuivre jusqu'au 1er mars.

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Les plaignants demandent notamment...

- Que les parents puissent choisir la mention « père », « mère » ou « parent » sur l'acte de naissance de leur enfant.

- Que tous les gens qui en font la demande puissent retirer la désignation de sexe sur leurs documents officiels ou faire inscrire un X au lieu d'un M (masculin) ou d'un F (féminin).

- Que les personnes mineures (entre 14 et 18 ans) n'aient plus à obtenir le consentement d'un parent ni une lettre d'évaluation d'un professionnel de la santé pour faire changer leur nom et la mention de leur sexe sur leurs documents légaux.

- Que les non-citoyens puissent changer leur nom et la mention de leur sexe sur tous leurs documents légaux.

Une version précédente de l'article indiquait le nom complet de la personne. La Presse a décidé de ne mettre que ses initiales, car elle est victime de commentaires haineux.