Le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, veut briser la « loi du silence » dans le réseau scolaire. Il souhaite ajouter dans les prochaines conventions collectives une clause garantissant la liberté de parole des enseignants qui veulent « dénoncer les travers » du système.

Il a fait part de ses intentions à La Presse hier, à la suite d'une chronique de Patrick Lagacé au sujet de l'enseignante Kathya Dufault, qui fait face à une procédure de congédiement.

La commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI) lui reproche d'avoir « critiqué publiquement [son] employeur » et d'avoir fait preuve de déloyauté dans une lettre publiée dans La Presse et au cours de diverses entrevues médiatiques. Kathya Dufault avait affirmé, entre autres, que des élèves en difficulté d'apprentissage ne devaient pas être dans des classes ordinaires et qu'on n'avait pas été en mesure de lui fournir de l'aide quand elle en avait fait la demande.

Jean-François Roberge n'a pas voulu parler du cas précis de Mme Dufault et de la procédure de congédiement à laquelle elle fait face. « C'est judiciarisé, a-t-il expliqué. Ça ne m'appartient pas d'être un tribunal administratif. » Il affirme ne pas avoir le pouvoir d'intervenir auprès de la commission scolaire.

« Ça ne relève pas de moi de gérer au cas par cas les employés, mais ce que je peux faire, c'est donner de grandes orientations. »

« Et là, j'en donne une : je souhaite qu'il y ait une liberté de parole, je souhaite que les enseignants et tout le monde qui intervient dans les écoles se sentent libres de nommer les problèmes, évidemment en toute honnêteté et dans un souci d'améliorer les services. »

Le ministre a insisté : « La loi du silence n'est pas une option pour améliorer notre réseau scolaire. Ce n'est pas en faisant taire les enseignants qu'on va avoir l'information nécessaire pour donner les bons services aux élèves. »

Il veut faire plus que cette déclaration de principe. Car il soupçonne que le « cadre juridique » actuel ne va pas assez loin pour protéger la liberté de parole du personnel scolaire.

« Quand je procéderai à la renégociation des ententes, j'aurai en tête d'inscrire dans la convention collective cette liberté de parole », a dit M. Roberge, qui était enseignant avant de devenir politicien. Les présentes conventions collectives seront échues le 1er avril 2020.

La clause que le ministre envisage reconnaîtrait « le pouvoir des acteurs de l'éducation à dénoncer les travers du réseau et surtout à proposer des solutions pour améliorer les services ».

« Je veux donner une plus grande liberté de parole aux acteurs de l'éducation parce qu'il me semble que c'est nécessaire d'être capable de nommer les problèmes pour ensuite les régler », a-t-il ajouté.

Il souligne que « le meilleur intérêt de l'élève » doit guider les enseignants dans leurs interventions et qu'il y a « toujours une limite à la liberté d'expression ».

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« TOUT LE MONDE SE VOIT DANS CE QU'ELLE A DÉCRIT »

L'enseignante Kathya Dufault, qui a dénoncé publiquement les conditions de travail dans lesquelles elle exerçait son métier, a reçu l'appui de nombreux collègues et syndicats d'enseignement, hier. La commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI) nie toutefois vouloir la congédier parce qu'elle a parlé à un journaliste.

Kathya Dufault est cette enseignante de Rosemère qui, en octobre, a confié au chroniqueur de La Presse Patrick Lagacé les raisons pour lesquelles elle souhaitait quitter la profession, citant notamment le manque de ressources et la gestion de plus en plus difficile d'élèves avec des troubles d'apprentissage ou de comportement.

La commission scolaire qui l'emploie lui a récemment fait parvenir une « intention de résiliation d'engagement », soit « une façon polie de dire qu'on veut la congédier », dit l'avocat du Syndicat de l'enseignement des Basses-Laurentides, Bernard Provencher.

« Ils ont repris chacun des paragraphes de l'article de Patrick Lagacé et les ont décortiqués. Ils en font des allégués qui vont servir à démontrer un manque de loyauté. Ce sera à eux de faire la preuve. » - Bernard Provencher, avocat du Syndicat de l'enseignement des Basses-Laurentides

C'est faux, affirme la commission scolaire. Dans une déclaration transmise aux médias par courriel, la directrice des communications soutient que « ce n'est pas la libre expression qui est en cause dans ce dossier ».

« Jamais aucun employé de la CSSMI n'a été congédié pour avoir parlé aux médias, écrit France Pedneault. [...] Nous pouvons simplement dire que si l'ensemble des éléments de ce dossier avait été partagé publiquement, cela aurait suscité bien moins d'intérêt. »

La CSSMI a-t-elle une autre raison de vouloir congédier Kathya Dufault ? Notre question est demeurée sans réponse.

Tant dans les rencontres avec l'employeur que dans les documents qui ont été remis à l'enseignante, le « lien de confiance » entre l'employée et la commission scolaire, le tort fait à l'école secondaire où elle travaillait et les propos qu'elle avait tenus dans les médias ont été évoqués, soutient l'avocat de l'enseignante.

« À moins que je sois un imbécile fini, avec ce que j'ai devant moi, rien ne me permet de penser que Mme Dufault cache des choses », dit Bernard Provencher.

« Les enfants n'ont pas les services auxquels ils ont droit »

Hier midi, quelques dizaines de manifestants se sont réunis devant les bureaux de la CSSMI à Saint-Eustache pour offrir leur appui à Kathya Dufault. Celle-ci était présente à la manifestation organisée par son syndicat, mais ne parle plus aux médias.

Une enseignante en adaptation scolaire de cette même commission scolaire a décrié le manque de services pour ses élèves.

« On le vit dans toutes les classes. Les enfants n'ont pas les services auxquels ils ont droit. Si les parents connaissaient les conditions dans lesquelles sont leurs enfants, je pense que plusieurs d'entre eux seraient ici aujourd'hui pour réagir. » - Julie, qui n'a pas voulu donner son nom de famille par peur de représailles

Un enseignant de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys qui a aussi refusé de s'identifier partage le même avis. « Tout le monde se voit dans ce qu'elle a décrit », a-t-il dit.

La présidente de l'Alliance des professeures et professeurs de Montréal, qui représente près de 10 000 enseignants de la Commission scolaire de Montréal, dit que ses membres ont toujours peur de subir des représailles en dénonçant des situations vécues dans les écoles.

« On ne peut pas taire la réalité des enseignantes et des enseignants. Il faut comprendre pourquoi ils sont à bout, pourquoi les conditions d'apprentissage des élèves sont compromises. On ne peut pas taire ça, l'école publique appartient à tous les citoyens et les citoyennes », dit Catherine Renaud.

L'avocat de Kathya Dufault s'attend à ce que la direction générale de la CSSMI entérine le congédiement de l'enseignante d'ici au 16 décembre. « Ils vont procéder au congédiement de madame, je vais contester par grief, et on va se retrouver devant le tribunal en septembre prochain », dit Bernard Provencher. En attendant de connaître son sort, l'enseignante travaille dans une librairie.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Jean-François Roberge