Comme le vers de Gaston Miron, qu'il aimait répéter, Bernard Landry n'a « jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays ». Durant toute sa vie, ce politicien d'exception aura eu un objectif, une obsession : contribuer à l'avancement de la souveraineté du Québec. Et toujours avec une énergie, une fougue, une éloquence incomparables.

À 81 ans, celui qui se décrivait comme un « militant exemplaire » du Parti québécois (PQ) s'est éteint hier, à sa maison patrimoniale sur le bord du fleuve à Verchères. Il était entouré de ses proches, ses enfants et sa conjointe depuis 14 ans, Chantal Renaud, qui aura été un soutien sans faille tout au long de sa maladie.

Depuis des semaines, il se savait condamné ; à cause d'une maladie dégénérative incurable, ses poumons ne fonctionnaient qu'à 10 %. Il ne pouvait s'éloigner de ses bonbonnes d'oxygène. Et les pronostics des médecins ne laissaient pas d'espoir au-delà des Fêtes. Au cours des dernières semaines, beaucoup avaient défilé chez lui, de Lucien Bouchard à Pierre Karl Péladeau, de Pauline Marois à Louise Harel, des compagnons d'armes, sans compter les nombreux collaborateurs. Il les recevait en tout début de soirée, le moment où il se sentait le mieux.

Le politicien pugnace, l'adversaire redoutable, était avant tout un humaniste, d'une culture politique et économique sans pareil.

Aucun autre élu québécois, hormis Jacques Parizeau, ne pouvait parler aussi naturellement du Traité de Rome ou de l'espace Schengen. Bien peu aussi évoquaient « l'indice bohémien », qui indique que la richesse économique d'une société se mesure aussi à la vitalité de sa culture.

Ses dernières années auront été assombries par une mauvaise décision : il a toujours regretté d'avoir remis sa démission comme chef du PQ en juin 2005. Les militants du congrès de la « Saison des idées » lui avaient donné un décevant appui de 76 % - le même qu'avait obtenu Lucien Bouchard avant lui. Blessé par le résultat, il avait prévenu spontanément sa garde rapprochée : « Ma route s'arrête ici », avait-il dit, sans appel. Il avait promis aux péquistes d'être désormais un « militant exemplaire », d'une loyauté sans faille. Mais il ne se privera pas par la suite de critiquer publiquement ses successeurs. En coulisses, les partisans de Pauline Marois, de François Legault et même de Gilles Duceppe s'activaient déjà depuis un bon moment. S'il était resté, il aurait eu des jours bien difficiles.

UN DEMI-SIÈCLE D'ENGAGEMENT

Un engagement de 50 ans, sans faille. Il est leader étudiant, moteur des manifestations dès 1962 pour protester devant les déclarations de Donald Gordon, patron du CN, qui justifiait l'absence de francophones chez les dirigeants de la société par le manque de compétences. Jean-Bernard Landry est un avocat en vue de Joliette qui va sortir les étudiants du poste de police à l'issue des manifestations, promettant une assistance totale, à condition qu'il n'y ait pas de casse. Comme candidat péquiste, il mord la poussière dans Joliette en 1970, puis en 1973. Il sera plus chanceux dans Fabre en 1976. Il en voudra toujours un peu à Guy Chevrette de lui avoir soufflé sa circonscription naturelle, Joliette.

Ministre d'État au Développement économique, Landry se démarque - l'économie est la clé pour accéder à la souveraineté. En cette matière, il restera toujours un peu dans l'ombre de Jacques Parizeau.

Au départ de Lévesque, en juin 1985, il se lance dans la campagne à la direction du parti ; il ne terminera pas la course, faute d'appuis. Après le retour de Robert Bourassa au pouvoir, fin 1985, c'est la période noire au PQ, il ne ménage pas son temps et ses efforts pour rencontrer les militants déboussolés. Aucune assemblée n'est trop petite pour le convaincre de prendre la route le soir, bien qu'il enseigne à l'UQAM le lendemain. À cette époque, comme Jacques Parizeau, il prend fait et cause pour le libre-échange - l'enjeu de la campagne électorale fédérale de 1988. Longtemps proches des syndicats, ces péquistes se trouvent dans le camp des patrons. Pour Landry, la disparition des barrières tarifaires contribuait à rassurer les Québécois, inquiets de l'isolement économique d'un Québec souverain.

En 1995, il est conscient que rien ne pourra freiner l'arrivée de Lucien Bouchard aux commandes. Il jouera un rôle déterminant dans la décision de députés conservateurs fédéraux de former le Bloc québécois après l'échec de l'accord du lac Meech.

MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE

Il se souviendra de sa campagne ratée au départ de M. Bouchard en 2001. En moins d'une semaine, il avait amené dans son camp tous les appuis importants, et Pauline Marois n'avait eu d'autre choix que de se rallier. En 1996, Bouchard l'avait nommé ministre plénipotentiaire de l'Économie ; c'est lui qui, aux Finances, ramènera le déficit zéro deux ans plus tard et ouvrira « les vallées verdoyantes de l'équilibre budgétaire ».

Un promoteur atypique, Sylvain Vaugeois, le convainc que l'avenir est dans les technologies de l'information. Le Québec accordera de très importants crédits d'impôt aux firmes de ce secteur qui s'implantent dans certains quartiers de la métropole. La Cité du multimédia est née, et avec elle une longue liste de multinationales aux emplois lucratifs. C'est aussi l'époque où Paccar, la multinationale du camion lourd, lorgne du côté du Mexique. Encore là, sa détermination sauvera des emplois à Sainte-Thérèse.

À l'époque, Bernard Landry est la voix du centre droit au gouvernement Bouchard. Devant les demandes incessantes de Louise Harel, qui réclame plus de budget pour les bénéficiaires de l'aide sociale, il rappelle qu'il faut « créer la richesse avant de la distribuer ». « Nous étions les deux faces d'une même pièce », rappelait-il dans une lettre récente pour appuyer la candidature de Mme Harel à l'Ordre du Québec.

FRANC-PARLER

Bernard Landry s'est démarqué aussi par une longue série de déclarations, parfois controversées. La souveraineté était pour lui incontournable ; majoritairement fédéralistes, les aînés disparaîtraient, laissant la place aux jeunes générations plus souverainistes.

Nouveau premier ministre en 2001, il est ulcéré par le nombre d'unifoliés qu'il peut voir de son appartement de Québec, autant de « chiffons rouges », avait-il dit.

En 2003, il fait un mauvais débat télévisé contre Jean Charest, sa loyauté envers Jacques Parizeau le dessert quand le chef libéral déclare que l'ancien chef a répété sa sortie controversée sur l'argent et les votes ethniques. « Audi alteram partem », martèle-t-il, refusant de condamner son mentor politique.

Au début 2002, il lancera un vaste remaniement ministériel qui entraînera la démission des vétérans Guy Chevrette et Jacques Brassard. Controverse du lobbying, mutinerie à l'endroit de son chef de cabinet Claude H. Roy, rien ne va plus. La défaite de 2003 sera sans appel. Pendant quelques semaines, il laisse entrevoir son départ - « mon temps est fait », dira-t-il avant de se raviser.

Autre déclaration percutante : au printemps 1995, Jacques Parizeau n'est pas prêt à déclencher son référendum. Bernard Landry a l'air de lui forcer la main quand il dit qu'il n'a pas l'intention « d'être le commandant en second de la brigade légère dans la guerre de Crimée » - lancées trop tôt dans la bataille, les troupes britanniques avaient été décimées. En fait, semble-t-il, la décision d'attendre à l'automne avait déjà été prise, Landry roulait des mécaniques en défonçant, pour la galerie, une porte ouverte. En coulisses, toutefois, il s'affaire avec Lucien Bouchard à faire entrer le « partenariat économique et politique » dans la question référendaire.